« C’est un aveuglement pour elle bien fatal,
D’avoir tant à choisir, et de choisir si mal. »[1]
La France est morte sans que personne ne l'ait vue mourir. Comme tant de nos « vieux » aujourd’hui, elle s’est éteinte dans l’arrière-boutique du monde, expiant mollement ses péchés ; c’est-à-dire sans douleur, car cela l’aurait trop rapprochée de la sainteté. Les Français, aveugles et encore en pleine digestion de guerres et de révolutions, enveloppent son cadavre dont la décomposition tarde à se révéler. Dans cette tourmente, nos politiciens sont de ceux qui savent faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils tirent à leur compte la disparition de la Fille Aînée de l’Église. Habiles et apprentis sorciers, comprenant que la vie des parasites a quelque chose de bien plus enviable que celle des charognards, ils font du plus avec du moins. Nul besoin pour eux de se partager la dépouille s’ils gagnent davantage en escamotant sa mort.
“Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil. Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin.”[2]
Nous ne voulons pas être de ceux qui se réjouissent de ce saccage, et encore moins qui se contentent de l’observer. Nous attendons chaque élection comme la levée de rideau qui n'arrive jamais. Il faudra pourtant que le public cesse de prêter attention aux charmeurs de serpents et aux marionnettistes. Comment pourrions-nous rebâtir un pays avec un peuple qui se satisfait des ruines ?
Quelles leçons pouvons-nous tirer des dernières présidentielles ?
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Le premier sujet nous semble être que cette élection a révélé définitivement les limites d'une campagne présidentielle.
Il apparaît qu’un bon sociologue, en recoupant 4 ou 5 facteurs (CSP, ethnie, religion, âge, zone géographique etc.…) aurait pu sans sondage prédire avec une faible marge d'erreur les résultats de l'élection. Le vote aujourd’hui est plus que jamais un vote de classe, parce que le pays est plus que jamais fracturé. Il faut dire que la dynamique politique en marche depuis deux siècles ne pouvait aboutir à un autre résultat.
La France vivait déjà malgré une étonnante diversité de peuples et de cultures sous l’Ancien Régime. Tenue sous l’égide du Roi et imprégnée de la grâce du catholicisme, cette nation avait su traverser les siècles. Mais la Révolution, déferlant en Europe, brisa ces deux colonnes, pour substituer à l’unité incarnée de la France, l’idée de la France. Ce qui était autrefois un subtil agrégat de peuples, de mœurs, de traditions et de territoires - composant le plus beau pays sur Terre après les Cieux - fut balayé pour être remplacé par une constitution et des « valeurs » (Liberté, Égalité, Fraternité). Le concret des droits naturels et divins fut aboli pour proclamer l’abstrait des Droits de l’Homme. L’idéologie républicaine, par tous les moyens (éducation, art, culture), imbiba le pays de ce désordre. C’est par un puissant formatage qu’elle réussit à maintenir l’unité du pays. Mais l’unité, sans réalité charnelle, ne peut se prolonger sur la durée. Le suffrage universel direct, qui n’est rien d’autre qu’une guerre civile encadrée par les institutions, et la nécessité du clientélisme des candidats pour être élus, auront eu raison de ce qui était autrefois une nation, et qui n’est aujourd’hui qu’une cohabitation d’individus.
Le système politique dans lequel nous sommes est intrinsèquement pervers, et se juge ainsi tant du fait de ses principes que de ses fruits. Le suffrage universel accorde la même importance à l’avis du plus sage qu’à celui du plus vicieux. Son objectif ne peut pas être la recherche du bien commun, car il est issu d’un rapport de forces de volontés antagonistes. Il est œuvre de division, précisément parce qu’il demande aux citoyens de s’opposer. Il fait gagner le candidat qui touchera, non pas l’ensemble des Français, mais une masse critique d’électeurs. Nous avons précisément vu en conclusion de cette élection se distinguer trois blocs électoraux presque irréconciliables. Aujourd’hui, la vie nationale ne tire pas son unité de liens affectifs issus des affinités de tempérament des peuples. Elle subsiste uniquement par la domination de l’État, et par le cadre juridique commun des citoyens.
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Notre second sujet est comme l’aboutissement du premier. Les déterminants traditionnels d'une campagne étaient auparavant : le candidat, ses moyens , son nombre de militants ,son programme ,sa présence médiatique ,etc... Mais nous voyons qu’aujourd'hui, tout semble être affaire de récit médiatique. On pourrait presque dire que c'est le seul critère qui peut faire évoluer significativement les intentions de vote des électeurs. Le récit, c’est grossièrement la fabrique du consentement. “Partout où le jeu de la machine publique est rigoureusement exact, il y a despotisme."[3] Pour être clair, Emmanuel Macron n’a pas eu à faire campagne : les médias l’ont fait pour lui. Une candidature sans contrôle exclusif des médias est plus que jamais vouée à l’échec. L’arme des sondages s’est montrée particulièrement redoutable. Elle est l’autorité qui adoube les candidats.
De ce que nous constatons, une campagne est aujourd’hui un appel d’offres sur un marché asymétrique, très concentré, et où la publicité et le marketing sont les uniques variables d’ajustement pour toucher le consommateur. Le vocabulaire économique est de mise sur ce sujet, précisément parce que les candidats qui ont les meilleurs résultats réfléchissent à la campagne comme un publicitaire réfléchit à la façon de vendre son produit. Et sur chaque marché, il y a des consommateurs plus fragiles que d’autres.
Ainsi, nous ne pensons pas que les victimes privilégiées de la hargne que sont les boomers aient voté Macron par volonté de nuire au reste du pays, ou pour exploiter les plus jeunes pour leur retraite, comme on l’entend souvent. Leurs votes viennent du fait qu’ils sont une population très influençable qui se nourrit massivement de propagande. Ils sont un épiphénomène du système, et la fin de cette génération ne sera pas accompagnée de la victoire de la droite. Mundus totus in maligno positus est[4].
En réalité, croire que le pays pourra être sauvé sans une refonte complète des institutions implique deux choses : soit un soutien à la perversité que nous avons décrite plus haut, soit la considération selon laquelle le système politique est de moindre importance dans la destinée du pays. La première proposition est insoutenable, la seconde est absurde.
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Alors que ces éléments semblent nous pousser vers un désinvestissement complet du combat électoral, que penser de la campagne d’Éric Zemmour, et du soutien du peuple de droite à son égard ?
Nous ne pouvons nous empêcher de considérer cette campagne comme un mirage. On nous avait parlé d’une nouvelle étoile dans le firmament politique, mais sitôt que les astronomes braquèrent leur télescope dans sa direction, tous comprirent qu’elle avait déjà filé. Tous ? Non. Un groupe d’irréductibles Gaulois réfractaires ne se résigna pas à la défaite, et mena une campagne particulièrement active, témoignant de la grande ténacité des militants. Combat émouvant, mais hélas inefficace.
Le premier point est que nous pensons qu’Éric Zemmour a convaincu très peu d’électeurs au long de l’année. Cela vient d’une profonde erreur dans ses diagnostics, et de l’hostilité du système à son égard. Malgré une fenêtre historiquement favorable, il n’a pas réussi à s’imposer, et a été surestimé tout le long de la campagne. Les déçus de Marine Le Pen et de Valérie Pécresse se sont reportés sur lui à un moment, dans l’espoir de soutenir un candidat plus crédible et compétent. Ils ne l’ont pas trouvé. Ses travers de journaliste n’ont pas séduit. Il a suffi de quelques formules de séduction pour que toute la droite ex-Manif Pour Tous se rue aux urnes comme au feu. Mais que représente-elle réellement dans la population française ? 5% d’électeurs si l’on inclut les abstentionnistes ?
Sans équivoque, Éric Zemmour s’est adressé à une classe sociale que les Français ne connaissent pas, parce qu’ils ne la fréquentent pas, et pour laquelle ils ont un énorme à priori.
Et pour cause, quel fourvoiement de s’adjoindre Marion Maréchal et Philippe de Villiers ! A qui pouvaient-ils plaire, sinon à ceux qui étaient déjà convaincus ? Les chiffres élevés d’audience et de vente de livres de ces personnalités sont trompeurs. Leur prétendue popularité est l’effet d’un biais. Leurs amateurs sont des ultra-consommateurs de tous les types de contenus qui vont dans leur sens. Que ce soit CNews, les nouvelles publications, les chaînes Youtube, les multiples mouvements qui se sont créés . Constat préoccupant, tant nous savons que certaines de ces occupations éloignent plus de la victoire qu’elles n’ en rapprochent.
Et quelle erreur de parler d’une histoire de France que plus personne ne connaît ! Éric Zemmour a effectué un travail de journaliste et non de candidat.
Considérons vraiment le sujet : si l’on se présente à une élection, c’est pour la remporter. Si tel est l’objectif, il appartient donc de se donner les moyens de l’atteindre. Le système est déjà complètement corrompu. Accorder de l’importance à ces institutions est une concession que nous lui faisons. Pourquoi ne pas être cohérent, et vraiment suivre les règles du jeu pour aller à la victoire ? Pourquoi se compromettre si c’est pour aller à la défaite ?
Une justification a été l’opportunité d’imposer certains sujets dans le débat public. Sur le long terme, cette méthode demande beaucoup d’investissement pour peu d’effets. Les idées phares qui circulent partout dans les médias peuvent s’évanouir dans l’esprit des gens aussi vite qu’elles y sont apparues. Rappelez-vous, tous les moyens aux mains du système politique sont une question de récit médiatique, et de contrôle de l’information.
Le second point est que nous constatons les profondes déficiences de la base militante d’Éric Zemmour.
En premier lieu, il y eut l'entretien de l’illusion que ce candidat représentait les aspirations du peuple français. Mais nous l’avons dit, le peuple français n’existe guère. Il est autant une abstraction que le fondement de nos institutions.
En second lieu, nous voyons le caractère démesurément passionnel de la campagne. Si la passion est en soi force neutre, elle est toujours grosse de dangers. Il importe donc de savoir s’il incombe de la combattre ou de la diriger. Le choix a été fait de la diriger dans l’entretien du mirage de cette campagne. Alors que la droite devrait représenter le camp de la raison, de la vertu, et de la générosité d’esprit, elle n’a été qu’une tentative déraisonnée de s’imposer dans le paysage politique. Ici, certes nous généralisons un peu grossièrement. Il n’empêche que nous avons vu de sérieuses lacunes théoriques chez les militants, accompagnées d’une tendance au fanatisme, que nous ne pouvons encourager. Ces lacunes ne retirent rien à l’énergie et à la combativité qu’ils ont su démontrer au long de la campagne. Mais il faudra viser plus haut, et d’une façon tout autre, pour récupérer le pouvoir.
L’ultime raison qui nous fait dire que la campagne est un échec tient au fait qu’elle n’a pas atteint son véritable objectif, qui était de déstabiliser définitivement Marine Le Pen et de réaliser une union des droites. La présidente du Rassemblement National s’est assurée une légitimité plus solide qu’en 2017. Il semble peu vraisemblable que Reconquête réussisse à obtenir un groupe parlementaire aux élections législatives. Ce parti ne réussira pas à s’imposer dans le débat public avant les prochaines présidentielles, et il risque bien de repartir de zéro pour arriver à un résultat similaire. Dura lex, sed lex[5].
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Pour conclure, cet article chargé d’insuffisances n’appelle ni à l’inaction, ni au désespoir, mais au réalisme. Il n’importe plus d’être seulement bon, mais d’être bon à quelque chose. Certaines situations réduisent le champ des possibles. Aujourd’hui, plus que jamais, l’objectif est de se former et de préserver la vérité la plus riche et la plus complète. La France est morte, mais il reste quelque chose de la France que nous pouvons sauver pour la voir renaître. La campagne de Zemmour était peut-être un bouquet dont les fleurs ont vite fané, et dont l’odeur mémorable imprègnera toujours l’âme de ses militants. Mais il faudra une sérieuse remise en question pour que le Suicide Français reste le nom d’un livre, et pas le nom d’un événement. La vie politique est une appellation fallacieuse. C’est une dépense d’énergie qui n’améliore pas la vie des gens. Elle n’a pas trait au bien commun, mais à l’entretien d’un système mortifère. Pour penser la politique aujourd’hui, il faut penser hors de ces institutions. Il est temps de s’y mettre.
“Ce triste et fier honneur m’émeut sans m’ébranler ;
J’aime ce qu’il me donne, et je plains ce qu’il m’ôte ;
Et si Rome demande une vertu plus haute,
Je rends grâces aux Dieux de n’être pas Romain,
Pour conserver encor quelque chose d’humain.”[6]
Erwan Lebreton
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