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Ukraine : fureur de parler, fureur de vivre



« La fureur de parler, d’écrire sur la religion, sur le gouvernement est comme une maladie épidémique dont un grand nombre de têtes sont frappées parmi nous. Les ignorants comme les philosophes du jour sont tombés dans une sorte de délire. » Ainsi écrivait l’abbé Dinouart dans L’Art de se taire, paru en 1777. S’il vivait de nos jours, il pourrait constater les progrès foudroyants de l’épidémie, poussant des Français lambdas, qui n’ont jamais mis un pied en Ukraine ou en Russie, à partager sans retenue leurs analyses personnelles de la guerre en cours…


« Pays fantôme » selon Benoist-Méchin, « expulsé de l’histoire par la convoitise de ses voisins », l’Ukraine est prise entre l’enclume russe et le marteau états-unien. Pour un Français, dont la nation est le fruit d’une volonté ferme et constante de l’Etat, il paraît difficile d’admettre l’existence d’un peuple qui n’eut pas d’Etat à lui avant la chute de l’Union soviétique, au territoire partagé entre la Pologne, la Russie et l’Autriche. Cependant, on reconnaissait volontiers l’existence des Irlandais avant leur indépendance en 1921, ou, plus récemment, celle des Kurdes et des Ouïghours. L’Ukraine est l’angle mort de la réflexion d’un certain nombre de nationalistes, qui ne raisonnent qu’en termes géopolitiques, par opposition systématique à Washington, recherchant dans les coups de mentons du monteur d’ours du Kremlin un dérivatif au manque de virilité en Europe. Je vois plus d’héroïsme dans l’exemple des civils ukrainiens gardant la capitale, avec des armes données par l’armée autour de checkpoints de fortune, que dans les jeunes conscrits russes égarés par la propagande néo-stalinienne du Kremlin : « dénazifier l’Ukraine », « génocide du Donbass » et autres éléments de langage antifascistes. Je vois plus d’héroïsme chez ces pères ukrainiens qui mettent leur famille à l’abri (en Pologne ou en Hongrie) et qui reviennent se battre pour la mère patrie, que dans l’intimidation exercée par Vladimir Poutine au cours de cet échange ahurissant avec son chef du renseignement extérieur, digne d’une république bananière dans un épisode de Tintin. En somme, virilité n’est pas brutalité.


Nous autres « Occidentaux », qui connaissons bien l’impérialisme américain et la manière dont il s’imposa, par les bombes au phosphore et l’abrutissement consumériste, peinons à saisir que, pour un Ukrainien, c’est le voisinage de la Russie qui est insupportable. Au XIXe siècle, l’ukrainien fut interdit au théâtre et dans la littérature, et la commémoration de la mort d’un grand poète comme Taras Chevtchenko, interdite en 1911 au nom de « l’unité de la nation russe ». La Russie connut sa crise de jacobinisme, ce qui facilita le virage totalitaire. Le Tsar russe, autocrate voyant son empire comme un patrimoine personnel, n’était pas le roi capétien soumis aux lois fondamentales du royaume. Saint-Pétersbourg, dont les fondations constituent un immense charnier de plusieurs milliers de travailleurs, représente bien cette brutalité qui tient plus de l’empreinte tataro-mongole que de l’Europe. De 1932 à 1933, Staline extermina la paysannerie ukrainienne par la famine (l’Holodomor) et fit approximativement six millions de morts. Plus tard, on déporta des populations entières pour donner leurs terres à des colons russes : le grand remplacement ! Il y a un antagonisme russo-ukrainien qui dépasse largement les manœuvres de l’OTAN. Celles-ci sont bien réelles et doivent être dénoncées : il faut dissoudre l’Alliance et démanteler ses bases. Mais la Russie n’a pas besoin d’un ennemi à l’Ouest pour considérer que l’Ukraine, nommée « Petite-Russie » au temps des Tsars, devrait lui appartenir corps et bien. Deux légitimités identitaires s’affrontent actuellement en Ukraine. Pendant ce temps-là, sur les réseaux sociaux, on a la fureur de parler. En Ukraine, où l’on arrête des convois militaires à mains nues comme à Tian’anmen, on a la fureur de vivre.

Julien Langella



Retrouvez tous les samedis, dans le Quotidien Présent, les réflexions inspirées par l’actualité à Julien Langella, cofondateur de Génération identitaire et membre d’Academia Christiana.



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