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Les Anneaux de Pouvoir : tout ce qui est or ne brille pas


Je ne suis pas un consommateur de séries. Je n’en regarde plus depuis des années et j’ai été très surpris en parcourant les derniers succès et en découvrant les nouveaux codes du genre. Les budgets et les moyens peuvent être colossaux, mais la qualité est toujours très questionnable. Tout semble fait pour être consommé dans la semaine de la sortie et laisser les spectateurs passer à une autre série. Les systèmes d’abonnement vont dans ce sens.


Je vais juger la série sur deux points : la fidélité à Tolkien et la qualité en tant que série indépendamment de l’œuvre originale. J’entends qu’il s’agit d’une adaptation et, qu’à ce titre, il est possible de prendre des libertés, mais enfin, quand on la titre LORD OF THE RING : Rings of power, on se doit de proposer un minimum de fidélité, ne serait-ce qu’en remerciement à la couverture publicitaire exceptionnelle que le titre nous offre.


Les citations entre guillemets viennent toutes de Tolkien sauf contre-indication.


Je ne m’attendais pas à une fidélité exacte de la série à son univers. Peter Jackson (1) lui-même avait pris énormément de libertés pour l’adaptation en film. J’aurais été particulièrement surpris de voir une firme multinationale comme Amazon retranscrire avec fidélité le sens que Tolkien donnait à son œuvre. Jeff Bezos est athée, libéral, transhumaniste et soutient la robotisation du travail. Ses idées représentent davantage la tour de l’Isengard (2) que le Valinor (3). Il est à peu près sûr que Tolkien, catholique et réactionnaire, aurait fermement refusé ce simulacre de production artistique où tout est artificiel. Nous sommes bien loin de l’esprit de la Faërie et de la noblesse du conte.


C’est quelque chose de suffisamment connu que le profond enracinement de la dimension spirituelle de Tolkien dans les textes et mythes de la civilisation indo-européenne et chrétienne (« this virtue that such rooted works have » disait-t-il à propos des mythes). Il est impossible d’avoir une compréhension sérieuse de ses livres sans une connaissance rudimentaire de la théologie catholique, et sans une culture des textes fondateurs d’Homère, Virgile, du cycle arthurien et des épopées nordiques. Je ne dis pas qu’il faut tout avoir lu, mais il faut avoir une idée des symboles et des grands thèmes qui irriguent ces œuvres. Car Tolkien n’a rien fait d’autre que d’intégrer son œuvre à la « longue ligne continue, indivisible » de cette tradition.


Le souci est que la plupart des admirateurs de l’univers le voient comme un équivalent à ce qu’on trouve dans Donjons et Dragons, Harry Potter, Eragon, etc. Les intentions de Tolkien ont bien évolué au cours de sa vie, mais le fil conducteur est le même. La maturité de son travail l’a toujours davantage orienté vers la recherche d’une cohérence métaphysique et théologique rigoureuse. Il n’est là ni pour être seulement un producteur de divertissement consommable et substituable, ni pour faire un catéchisme. Il a toujours voulu donner à son œuvre la consistance des anciens mythes, qui sont « un effeuillement de la Création » (au sens religieux). La puissance de son univers dépasse très largement sa poésie et son originalité. Celle-ci est au contraire la réécriture constante des mêmes histoires, avec la plume qui présente sous des lumières différentes la consistance des thèmes. Son œuvre permet de prendre de la hauteur sur notre époque et de rejoindre un peu le sens de la destinée humaine qui est le thème qui parcourt toute la grande littérature européenne, d’Homère à Balzac en passant par Shakespeare, Dante ou Goethe. Ses personnages pourraient tous être des personnages de théâtre ou s’insérer facilement dans les œuvres des auteurs que je viens de citer.


La série est une mutilation pure et simple de tout cet aspect de son travail, qui en est le fondement. Il n’en reste qu’un corps en putréfaction, maquillé à coup d’effets spéciaux et animé par les marionnettistes yes-man (4) hollywoodiens, déclinant à l’infini la recette miracle des studios Disney pour faire du pognon et détruire les sagas. Les spectateurs lobotomisés, qui ont perdu tout sens du bon goût et de l’esprit critique à force de nourrir leur intelligence de ces produits médiocres, laissent passer le corbillard repeint en voiture nuptiale.


La réécriture de l’histoire des elfes et la suppression de la mention de leur rébellion est un des premiers aspects de cette falsification. Sans cet équivalent au péché originel judéo-chrétien, le reste de l’histoire perd tout son sens. La participation des peuples libres à l’œuvre universelle de rédemption incarnée par la Communauté de l’Anneau peut alors effectivement maladroitement être interprétée comme une promotion du multiculturalisme. Piètre interprétation digne d’un élève au collège, mais valable quand on se donne l’ambition de subvertir tout le message de Tolkien. Le sens tragique de la vie en Terre du Milieu devient incompréhensible (j’utilise le mot tragique au sens noble du terme). L’eucatastrophe (5) dont parle Tolkien, et qui est l'une des caractéristiques du conte à son sens, n’est plus qu’un happy ending générique. Son univers est un prétexte pour faire un cadre fantaisiste où doivent pouvoir être inclus des éléments de toutes les civilisations, indépendamment de leur sens authentique (comme dans Donjons et Dragons (6) où cohabitent la chevalerie chrétienne avec des ninjas et des guerriers aztèques). Ce déracinement qui peut avoir un sens dans un cadre uniquement ludique est une insulte aux peuples qui ont irrigué leur vie spirituelle à travers ces histoires. Le sens de l’histoire longue et de la possibilité de disparaître en tant que civilisation sont deux des caractéristiques que Georges Steiner attribue à l’Europe. Nous les retrouvons particulièrement dans Le Seigneur des Anneaux, et en général chez Tolkien, où tout est un témoignage de cela. La lutte au péril de sa vie est quelque chose de mystérieusement inscrit dans la civilisation helléno-chrétienne.


Les symboles, vidés de leur substance, ne sont plus que des codes arbitraires esthétiques, qui ne peuvent plus nourrir aucun esprit. Je rappelle par exemple que la symbolique de la lumière contre les ténèbres remonte au Prologue de l’Évangile selon Saint Jean, et n’est présente dans aucune autre civilisation de cette façon. Derrière le profond sens attaché à ces termes se trouve une richesse incroyable, qui ne s’exprime plus que dans des formules vides. Mais Hollywood s’adresse à des consommateurs, pas à des esprits libres et rationnels. Finie l’expression de la providence d'Iluvatar (7) qui concilie l’œuvre du mal avec la préparation d’un chant plus beau ; comme dans le texte de l’offertoire de la messe tridentine « O Dieu, qui avez admirablement fondé la dignité de la nature humaine et l’avez plus admirablement encore restaurée » ; ou dans le Faust de Goethe « Je suis l’esprit qui toujours nie, à cette espèce j’appartiens, qui fait toujours le mal, mais n’aboutit qu’au bien ». Finies les symboliques du Silmarillion, finies les figures féminines archétypales européennes, fini le thème de la faute du guerrier...


Que la série ne respecte pas l’histoire des personnages et des événements peut s’entendre, mais nous avons là affaire à une falsification et à une subversion des travaux de Tolkien, qui sont proches, il faut le dire, d’un retournement civilisationnel complet. Ceux qui en doutent n’ont qu’à se donner la peine de lire sa correspondance. Je n’irai pas plus loin sur ce point, car cela demanderait un livre, mais les prétendus passionnés de Tolkien qui affirment que cette série respecte son esprit ferait bien d’avoir une lecture plus attentive et éclairée de ses travaux.


Nous pouvons nous étonner des éloges que la production a pu recevoir. Les acteurs jouent relativement maladroitement, les dialogues sont invraisemblablement peu écrits, et l’esthétique, hormis quelques plans, évoquent plus un jeu-vidéo qu’un paysage merveilleux, que ce soit dans la mise en scène comme dans la réalisation. Tout hurle au pixel, et semble si faux que l'on pourrait s’attendre à voir la perche du perchiste. Les plans en nature montrent clairement l’incapacité à simuler le vivant dans le cadre d’un studio aseptisé et multi-branché. Peut-être les spectateurs n’ont-ils jamais mis les pieds en forêt ?


Le plus dramatique me semble être l’écriture des personnages, qui témoignent d’une paresse et d’une médiocrité incroyables. Nous sommes devant des caricatures d’archétypes horriblement grossières. Le repas chez les nains dans l’épisode 2 évoque un épisode de mauvais sitcom (8). Le roi et la reine des nains doivent avoir des conversations et des réactions du niveau d’un public de consommateurs de série, pour qu’il s’identifie. Partout le sens de la noblesse et de l’héroïsme est absent. Galadriel, la protagoniste, n’est pas héroïque : elle est un personnage obstiné, qui suit des intuitions infondées qui devront se réaliser par facilité de jeux d’écritures. Le traitement est consensuel jusqu'à l'incohérence. Les habitués de séries ne devront pas être choqués étant donné que c’est un procédé largement répandu désormais. Tout est affaire de signe pour faciliter la compréhension des binge watcher frénétiques, ceux qui utilisent leur temps de cerveau disponible pour s’intoxiquer parce que ça « les détend ».


La production cinématographique est infestée aujourd’hui par l’idée que le spectateur doit trouver un personnage qui lui ressemble sur les critères du sexe et de l’ethnie pour s’identifier à lui. Nous ne pouvons envisager cette idée autrement qu’avec suspicion. L’objectif d’une œuvre artistique n’est pas de contempler, languissant, une version sublimée et édulcorée de nous-même. S’il est important d’assimiler le cadre symbolique d’une réalisation, souvent jaillissement inconscient des influx vitaux d’une civilisation, il n’est pas nécessaire d’avoir le même sexe ou la même couleur de cheveux qu’un personnage pour s’inspirer de ses vertus. L’identification telle que présentée ramène l’humanité d’un protagoniste à une enveloppe matérielle, indépendamment d’une identité culturelle, sociale, religieuse et géographique. Ainsi, les garçons ne pourraient s’inspirer de la témérité et de la pureté d’une Antigone (9). Un film n’est pas là pour exprimer le multiculturalisme américain, encore moins dans le cas de Tolkien. La médiocrité de l’écriture de ces personnages ne permet pas d’envisager leur rôle sous un rapport plus éclairant et éducatif. Ce sont uniquement des faire-valoir, des coquilles vides, privées des multiples ramifications de nuances qui s’expriment dans toutes les destinées humaines, et qui distinguent une personne d’une autre. Ils sont à la fois parfaitement génériques, c’est-à-dire dénués d’originalité, et dans le même temps, irréels, car trop simplifiés pour être authentiques.

Un autre exemple concret : la scène de combat contre l’orc dans la maison dans l’épisode 2. Commençons par une parenthèse sur le village qui doit être miteux et boueux pour être moyenâgeux. Les rideaux fermés même le jour, aucune fleur dans les maisons, aucune rénovation des granges, tout est en ruine, comme si ces populations étaient arriérées (c’est si mal connaître ces campagnes qui existaient il y a peu dans certains endroits du monde). Nous avons même les ivrognes racistes de la taverne qui ne sont pas sans évoquer la représentation que le citadin branché doit se faire d’un électorat de province qu’il réprouve. Nous supposons qu’une attaque de créatures meurtrières et maléfiques n’a pas eu lieu depuis fort longtemps, étant donné que la garde elfe quitte les lieux. Et pourtant, nous avons une mère de famille, qui doit n’avoir jamais appris à se battre, qui décapite un orc et amène tranquillement, avec flegme, sa tête devant tous les villageois à la taverne, après une scène de combat digne de Maman j’ai raté l’avion. Peut-être que l’adulescent un peu attardé a trouvé ce passage « stylé » et cette femme « badass ». Peut-être trouve-t-il le coca aussi bon qu’un grand vin. Toujours est-il que ce passage est tout à fait ridicule, flemmard et médiocre. Mais comme tous les codes de la facilité scénaristique américaine sont respectés, du décor aux jeux d’acteurs, le spectateur est ému.


J’arrête ici cette critique déjà trop longue, qui pourrait se décliner sur une centaine de pages tant le sujet est vaste. J’accorde de l’importance à cette série pour deux raisons : elle est le produit cinématographique le plus cher de l’histoire – et doit donc correspondre au cahier des charges le plus scrupuleux d’aujourd’hui – et le travail de Tolkien est la dernière grande œuvre mythique européenne. L’accueil de la série témoigne d'une chose : la civilisation qui a commencé avec Homère et qui a vécu contre vents et marées ensuite, est morte depuis longtemps. La mondialisation, l’américanisme, la technologie et ses propres contradictions internes auront eu raison d’elle. Les Européens, fatigués de vivre selon leur identité, ont abdiqué. Ils n’ont pas eu la foi qu’on a pu retrouver chez les protagonistes de la Communauté de l’Anneau. Maintenant leur bien est relatif, leur beau subjectif, et leur vérité inconstante. Le mot « mal » n’a plus le même contenu. Le péché originel et la rédemption n’ont plus de sens. Amazon, qui est le retournement complet de l’esprit de Tolkien, s’est approprié son œuvre. Peut-être que la méditation de ses livres permettra à quelques esprits de bonne volonté de trouver l’influx vital pour construire à nouveau un monde qui aura du sens.


Erwan


(1) Réalisateur de la trilogie de film Le Seigneur des anneaux


(2) Tour d’un puissant magicien qui rejoint les forces du mal par orgueil. Menteur et manipulateur, il rase des forêts ancestrales pour assurer la production de son armée, dans une perspective industrielle.


(3) Équivalent d’une terre divine


(4) Réalisateur de films de « commande » qui obéissent seulement au cahier des charges des producteurs


(5) Néologisme forgé par Tolkien, défini comme « la soudaine tournure heureuse d'une histoire qui vous transperce d'une joie à faire pleurer (ce qui est la plus haute fonction des contes de fées) »


(6) Licence d'un jeu de rôle dans un univers de fantasy reprenant des éléments culturels de toutes les civilisations dans un mélange sans recherche d'une structure cohérente


(7) Représentation du Dieu chrétien dans l'univers de Tolkien


(8) Série télévisée humoristique avec un décor simple


(9) Ce point n'est pas une négation des rôles symboliques spécifiques à chaque sexe. La vertu peut être inspirée par tous.

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