Ces dernières années, la figure du survivaliste est devenue un topos récurrent dans le paysage culturel. Films, reportages, livres : les thématiques catastrophistes sont devenues à la mode. Ce fait mériterait un développement en soi. Mais penchons-nous plutôt sur ce personnage
fascinant : équipé de son arsenal de guerre et de ses réserves de cartouches, il défend farouchement sa Base Autonome Durable, généralement un bunker capable d’encaisser la moitié de l’arsenal nucléaire soviétique. Entouré de ses milliers de boîtes de conserve, il chérit son purificateur d’eau. Plutôt cinglé, il vit seul et constitue une péripétie dangereuse et excitante pour les sémillants héros de blockbusters. Au-delà du mépris bêta du monde culturel, il convient de reconnaître les qualités des survivalistes : ils ont reconnu le caractère précaire du monde qui les entoure, ils deviennent acteurs de leur propre existence, et refusent de subir passivement les bouleversements du monde contemporain. Indépendants au maximum de la mondialisation, ils bâtissent solide à l’époque du jetable, ils stockent à l’âge des flux et acceptent les risques en un temps obsédé par la tranquillité. Leur mode de vie est également un exemple de sobriété, édifiant pour les enfants du confort que beaucoup d’entre nous sommes. Attendez cependant, n’achetez pas votre bunker tout de suite. Il convient de jeter un regard critique. Ce n’est pas parce que notre époque méprise quelque chose que ce quelque chose devient forcément sain, admirable et imitable sans restriction. Le survivaliste, dans sa variante que nous présentent les médias, est un individu qui refuse son devoir politique. Il mène sa vie seul, sans relation avec ses voisins. Il est donc, selon le mot d’Aristote, soit une bête, soit un dieu. On retrouve l’idéal du monde moderne : l’autonomie absolue vis-à-vis de tous les déterminismes. Variante agressive de l’individualiste contemporain, il ne reconnaît ni Dieu ni maitre. Sa plasticité est telle que des idéologies très variées se sont approprié cette figure. Assimilation critique : voilà le mode sur lequel nous pouvons recevoir le survivalisme. Le plus sérieux changement que nous lui apporterons est l’idée que c’est la communauté qui survit. L’individu meurt toujours, mais le groupe lui survit. Notre survivalisme est collectif, dans sa fin comme dans ses moyens. Il se construit au sein de communautés militantes, de paroisses, de groupes de voisinages, autour d’une école, en bref à l’intérieur de tout groupe humain organique soucieux de son enracinement et de son futur. Ce survivalisme n’est ni une chimère ni une invention. Il est déjà celui de certains groupes ou de certains individus. Ils ont compris que sauver sa vie n’a aucun sens si cette dernière est vécue en solitaire. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » nous dit la Génèse. Ne restons pas seuls. Aussi compétents, tenaces et courageux que nous puissions être, c’est la mort qui nous attend tous. Quoi qu’il arrive, le cercueil est notre destin. Pourquoi choisir un bunker comme dernière sépulture quand on peut reposer au milieu des siens ?
Mayeul Seydoux
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