Les déplorables de la technologie - David Engels
- Academia Christiana
- il y a 20 heures
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L’intelligence artificielle fait ses premiers ravages, mais peu d’Européens semblent se rendre compte des conséquences au long terme.
C’est probablement à la fois notre force en tant qu’êtres humains et notre faiblesse : si nous sommes confrontés à quelque chose d’absolument horrible, nous détournons le regard – nous occultons, nous ignorons, nous espérons, nous procrastinons – et souvent, en effet, cela nous permet de ne pas désespérer et de survivre ; soit parce que la chose que nous craignions tant a entretemps disparu, soit parce que nous nous sommes finalement habitués à l’inévitable, soit parce que nous avons trouvé une parade.
Notre attitude face à l’intelligence artificielle semble similaire ; sera-t-elle couronnée d’un succès semblable ? J’avoue avoir des doutes – non pas que je craindrais la fameuse « singularité », ce moment où l’intelligence artificielle prendrait le dessus, mais plutôt parce qu’il s’agit d’une nouvelle et peut-être ultime étape dans la séparation de l’humanité en une infime élite et les grandes masses.
Certes, la technologie a cela de particulier que pour chaque avancée qu’elle permet à l’humanité, elle crée une calamité à peu près équivalente, de manière à garder les choses humaines en équilibre. Mais rapporté à l’IA, cela implique très probablement que le bénéfice créé par le remplacement de l’homme par l’algorithme va, d’un côté, contribuer à enrichir de manière encore plus exponentielle certains investisseurs, et d’un autre côté, créer un immense prolétariat que l’on devra neutraliser par des mesures drastiques de réduction de population, par la création de ces fameux « bullshit jobs » permettant de canaliser le ressentiment des humains inutiles en travail, et par la mise en place d’un régime de pain et de jeux.
En ce qui concerne la réduction de la population, ce processus est déjà en bonne voie pour les Européens de souche, et les statistiques suggèrent que, plus une population est exposée à ce que nous avons fait de notre civilisation européenne, plus vite elle tombera dans le même piège. Certes, il faudra encore pas mal de temps avant que la natalité des immigrés musulmans, voire des Africains atteigne le même stade que celle des Européens, mais peu importe, du moins pour les maîtres du monde : ce qui les intéresse, ce n’est pas la provenance ethnique ou culturelle de leurs sujets, mais leur transformation en un bétail humain propre à alimenter la grande « machine » qui est en train de se construire ; et si l’immigration de masse brise d’abord l’échine aux Européens avant de s’encanailler ensuite autant que ces derniers, ceux qui dirigent y verront sans doute plutôt un avantage qu’un inconvénient. Les luttes entre différentes ethnies sur le sol européen vont être acceptés comme un mal nécessaire ; après tout, ces rivalités empêcheront efficacement des révolutions potentielles, et puis, chaque destruction rend possible la reconstruction et fait dès lors tourner la machine économique – une situation « win-win », comme on dirait dans le jargon manageriel omniprésent désormais.
Et pour ce qui est des « bullshit jobs », la plupart des Européens se trouvent déjà enfermés dans des occupations qui n’ont, au final, aucun sens et pourraient en théorie être exercés par une machine : dès lors, la pression à l’obéissance sera phénoménale, de peur d’être le prochain sur la liste du grand remplacement… algorithmique.
Et finalement, en ce qui concerne les avantages d’un tel monde, il n’y a que peu de doutes que la plupart des Européens, surtout les jeunes, vivent dores et déjà dans un univers largement numérique. Certes, au Japon et en Corée, la dépendance aux jeux d’ordinateur semble en léger recul, ce qui serait un bon signe pour le futur de l’Europe, mais il y a peu de doute que la stimulation cérébrale immédiate et immersive rendue bientôt possible par Neuralink crée une situation radicalement nouvelle – et que l’apparition des premiers robots à la fois automoteurs et dotés d’intelligence artificielle révolutionne notre monde de fond en comble.

Que faire alors ?
Je vois trois solutions possible. Soit, l’on parvient à être des programmateurs de ce monde, c’est-à-dire à être du côté de l’argent et de la machine, et alors, l’on peut, pour ainsi dire, « chevaucher le tigre ». Car il serait naïf de croire que l’intelligence artificielle soit dotée d’une quelconque objectivité ou neutralité : bien qu’il ne faille pas exclure certaines prises d’autonomie de la machine qui pourraient placer les humains, programmateurs comme simple sujets, devant des problèmes potentiellement très graves, force est de constater que l’IA est avant tout un outil : un outil pour rationaliser, un outil pour contrôler, un outil pour calculer et aussi un outil pour réprimer. Qui contrôlera la machine, contrôlera une grande partie de notre civilisation, plus que jamais.
Soit, l’on rejoint le prolétariat des « déplorables » de la technologie tout en se soumettant au nouvel ordre. Dans ce cas-là, l’on se contente de devenir un petit rouage au sein d’une immense machinerie qui, peu à peu, infestera notre planète et déshumanisera notre civilisation. Car l’intelligence artificielle est le néant par excellente ; un simple algorithme qui réassemble ce qu’il trouve dans ses banques de données sur base d’un paramétrage venant de l’extérieur, sans pouvoir y ajouter quoi que ce soit de fondamentalement nouveau, la véritable création étant l’apanage de l’être humain. Certes, la masse d’information que l’IA recompose est immense et peut sembler inépuisable à l’individu. Mais au final, le calcul ne fait que réassembler encore et toujours les mêmes données sans jamais pouvoir y ajouter une pensée nouvelle. Personne ne contesterait que l’IA, comme chaque machine, sera éminemment pratique, mais de par son imitation du fonctionnement humain, elle risque d’enfermer ceux qu’elle est censée servir dans une cage de stagnation spirituelle dont les murs seraient invisibles.
Soit, l’on se retire dans une vie de dissidence communautaire en se mettant à mal les deux groupes mentionnés ci-dessus ; le premier, car il ne pourra supporter la création d’une alternative en dehors du système, le second, puisqu’il n’aura pas la force psychologique de lâcher la technologie et se laissera donc facilement manipuler à croire que les dissidents sont des dangereux extrémistes ou fondamentalistes qui voudront lui prendre tout ce à quoi il se sera habitué : voitures auto-guidées, la gentille voix qui a la réponse à toutes les questions, l’implant mémoire cérébral, le fembot ouvert à tous ses fantasmes… Ces dissidents auront sans doute la vie plus dure que la plupart des victimes des persécutions religieuses, et peut-être même qu’ils devront quitter le monde « civilisé » pour espérer trouver refuge à la périphérie inhospitalière du nord ou dans les sociétés chaotiques du « sud global » qui risque de suivre le mouvement avec beaucoup de retard. La résistance à la machine sera-t-elle couronnée de succès ? Nul ne le sait, et pourtant, c’est la seule voie pour ne pas renier totalement ce que Dieu a voulu nous offrir.
N’y a-t-il vraiment aucun espoir ?
Peut-être que si. D’abord, nous sommes loin de vivre dans un monde véritablement globalisé : oui, les techniques de surveillance seront bientôt omniprésentes, et les différences entre la Chine, la Russie, les États-Unis ou l’Europe ne seront que de l’ordre du cosmétique, mais en même temps, ces blocs se trouvent en rivalité permanente et vont faire tout pour se saboter mutuellement, créant ainsi des fenêtres d’opportunité : dans la lutte entre les machines, l’homme arrivera peut-être à nouveau, tôt ou tard, à se libérer de ce néant algorithmé qui risque de le submerger.
Puis, n’oublions pas non plus le déclin notable de l’éducation générale : maintenir un système hautement technisé, basé sur des algorithmes compliqués et en évolution permanente, nécessite une surveillance constante afin d’éviter que les programmes se développent dans un sens inattendu et potentiellement désastreux ; et bien que l’on puisse probablement compter sur la formation d’une élite intellectuelle dépassant largement ce que nous connaissons maintenant grâce aux implants neuralink ou aux manipulations génétiques, on pourra s’attendre à des défauts désastreux répétés du système ; des défauts qui éveilleront, peut-être, la conscience qu’il s’agit, au final, d’un système à la fois dystopique et dangereux.
De plus, il faut mentionner l’essoufflement de la civilisation occidentale : l’histoire nous apprend que chaque grande civilisation trouve son apogée matérielle juste avant la fin, c’est-à-dire la création d’un État-civilisation final qui initie généralement une période de stagnation, puis de déclin technologiques. Certes, la multiplication des applications de technologies existantes tout comme la généralisation des acquis à l’ensemble de la civilisation peuvent donner l’impression d’un progrès continu, mais au final, la courbe exponentielle revient toujours tout doucement à la ligne plate, puis au déclin. L’Antiquité aussi a cessé de progresser juste après avoir découvert le moteur à vapeur sans jamais l’utiliser de manière systématique – peut-être que le destin réservera un sort similaire à l’intelligence artificielle. D’ailleurs, même lors de sa chute, l’empire romain était techniquement éminemment supérieur aux barbares qui l’ont submergé – peut-être qu’un jour, les millions d’Africains se préparant à prendre possession de l’ancien continent seront paradoxalement les libérateurs de notre humanité, tout en détruisant notre civilisation.
Et finalement, n’oublions pas l’être humain lui-même. S’il y a bien une chose qu’il abhorre, c’est la stagnation et l’harmonie : l’ennui est probablement un moteur historique encore plus puissant que l’ambition ou l’amour, de telle manière que le monde dystopique que nous préparent nos seigneurs sera un jour inévitablement bouleversé par pur envie de passer à autre chose. Mais une chose est certaine : avant d’en arriver là, nous aurons sans doute encore de nombreuses épreuves à traverser.
David Engels

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