Nous avons précédemment évoqué la question du conditionnement des individus, sous l’angle de la modélisation de leurs comportements, par l’étude approfondie des différents facteurs. Mais aussi la possibilité de modifier ce conditionnement en influant sur les facteurs. Nous avions alors surtout évoqué des facteurs sociaux et immatériels, qu’en est-il de notre univers physique et de sa transformation par la technique ?
La généralisation du téléphone portable au tournant des années 2000 nous servira de cas d’étude. En 2011, 17% des français de 12 ans ou plus détiennent un téléphone portable, en 2019, 77%. D’un autre côté, comment se passer de cette petite boîte miracle ? on peut être en retard à tous nos rendez-vous, on peut se guider avec, trouver toutes les informations du monde et même payer avec ! D’un objet utile, le téléphone portable devient quasiment indispensable. En 2000 la France comptait plus de 300 000 cabines téléphoniques, on en compte une centaine aujourd’hui en état de marche. Ces quelques chiffres pointent deux éléments : comment la généralisation d’une technologie peut transformer notre univers matériel : la disparition des cabines téléphoniques, et rendre ainsi une technologie utile quasiment indispensable.
Les partisans du progrès technique, se tenant à l’évolutionnisme, considèrent qu’il est normal qu’une technologie évolue, faisant disparaître les plus obsolètes. Car les conditions d’utilisation de ces deux technologies ne sont pas les mêmes et c’est en ce sens qu’elles conditionnent notre univers. Quelle différence entre une cocotte-minute et un robot de cuisine ? La cocotte-minute, d’apparition pourtant récente permet par pression atmosphérique de cuire les aliments plus rapidement, mais bon il faut quand même surveiller. Alors que le robot de cuisine, lui cuira automatiquement vos aliments sans que vous ayez à vous en préoccuper.
Pour la cocotte-minute, même un feu de camp peut suffire. Pour sa conception : du minerai de fer, encore du feu, et puis un marteau peuvent faire l’affaire.
Mais pour que ce robot de cuisine fonctionne, il vous faudra tout d’abord un accès à l’électricité, avant cela, il faudra déjà qu’il puisse être produit grâce à une usine d’un assez haut niveau technologique et pour assurer sa conception il vous faudra de ces fameuses “terres rares”. Donc reprenons, avant même de commencer à mettre des légumes dans votre robot de cuisine, il faudra que ce dernier traverse le monde deux fois en porte-conteneur géant et que plusieurs milliers de Watts soient dépensés entre sa fabrication (la fabrication des machines qui le fabrique, la fabrication des machines qui vont permettre de fabriquer les machines qui le fabrique…). Ces conditions pour être réunis entraînent des conséquences à long terme sur l’environnement naturel, mais aussi humain en créant de nouveaux métiers, mais surtout de nouvelles dépendances.
L’utilisation du terme mélioratif de “branché” bien qu’un peu désuet est à ce titre extrêmement révélateur. Effectivement l’individu est aujourd’hui “branché” à de nombreux systèmes macro-techniques, de communication, de transports à travers le monde qui seuls lui permettent d’utiliser ces nouvelles techniques.
C’est vrai qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un robot de cuisine pour survivre, mais en diriez-vous autant d’un smartphone tant pour la vie sociale que professionnelle ? Il est devenu impératif de pouvoir répondre à tout moment aux sollicitations extérieures. En moins d’une dizaine d’années, les rapports sociaux ont été profondément modifiés par cette instantanéité. Prenons le cas de la voiture, loin de vouloir rentrer dans le débat du tout-voiture ou sans-voiture, nous pouvons juste mettre en exergue que d’une facilité de déplacement, ce véhicule à moteur en est venu à modifier notre urbanisme, mais aussi notre rapport à la distance ou nos paysages.
L’idée centrale réside dans cette force sociale que porte en elle la technologie, force bien plus puissante que celle de l’aspiration à la liberté et/ou à l’autonomie. Pris séparément chacune de ces avancées technologiques peut être désirable, mais pris dans son ensemble, elles ont finalement tellement modifié notre univers, nos conditions de vie, qu’elles ont finalement changé nos vies. Nous ne sommes plus ni maître de notre approvisionnement en nourriture, ni en chauffage, mais non plus en relation sociale.
Il devient par exemple de plus en plus compliqué de se passer des applications de rencontre pour trouver un partenaire. La majorité des individus passant par ces interfaces numériques, aborder une fille dans un bar est devenu d’une excentricité pouvant même être considéré comme une agression.
Il est impossible dorénavant de passer sa vie en tant que piéton, sans utiliser aucun moyen de déplacement ( y compris les transports en commun) en dehors des centres hyper urbanisés. Allez donc faire vos courses à pied, allez donc au travail à pied. Impossible, la généralisation de l’utilisation de la voiture a rendu possible une augmentation de la distance entre l’individu et ses centres d’intérêts.
Nous sommes aujourd’hui dépendant de la technique, premièrement de ses applications pratiques dans notre quotidien, et pourtant si la folle envie de vivre comme des amish nous prenait. Même si nous décidions de nous en passer, de jeter notre smartphone avec l’eau du bain et le chauffage central par la fenêtre, nous ne pourrions nous couper de notre univers physique qui a été entièrement remodelé par la technique, mais surtout pour la technique.
Le système techno-industriel n’est possible que par le progrès constant de la technique, source de croissance. L’apparition de ces technologies successives a progressivement remodelé notre rapport à la nature, puis notre environnement naturel et social. Nous en sommes rendus à un point où nos conditions de survie physique (les diverses pollutions par exemple), mais aussi mentale (avec l’apparition du stress et de toutes ces pathologies, survenus notamment avec la surpopulation et super modes de vie d’homme moderne : plus d’un français sur quatre sous psychotropes) sont dûs aux utilisations successives de ses technologies, mais trouvent aussi son “seul espoir” (sic) dans une fuite éperdue vers l’avant à la recherche de nouvelles techniques répondants à ces nouvelles problématiques.
Le conditionnement de nos vies par la technique ne date pas d’hier, mais l’accélération exponentielle des technologies entraîne finalement l’individu à devoir se plier irrémédiablement à la technique pour “sa propre survie”.
Dextra
Article publié sur le site : https://dextra.fr/le-conditionnement-par-la-technique/
Comments