Dessin de Croquis sartoriaux
Le voile des apparences est paradoxal. Il revêt le corps, cache notre nudité, masque notre vraie nature, mais révèle aussi une intention. Les hommes n’agissent pas au hasard. Leurs vêtements et leurs parures traduisent quelque chose. Si les apparences sont parfois trompeuses, elles ne sont jamais dénuées de sens pour qui parvient à les déchiffrer. L’extériorité, et tout ce qui est en rapport chez l'homme au domaine de l’apparaître, n’est peut-être pas aussi fondamental que l’être, mais peut s’avérer riche d’enseignements. Le paraître est non seulement une forme de langage, mais il a aussi un rôle social et culturel majeur. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’apparaître ; et les hommes ne nous sont jamais connus sans voile, car même physiquement nus, leur intériorité reste un mystère pour autrui.
Les moralistes aiment à rappeler combien la mode est futile, passagère et superficielle. La sagesse consisterait donc à ne pas se soucier de l’éphémère ni de l’accidentel, mais s’efforcer d’aller au cœur des choses, de lire à l’intérieur des êtres. Est-ce seulement possible ? En plus d’être un jeu souvent pathétique, la mode se réduit-elle à se déguiser, à se donner un genre, et au final à mentir aux autres ? Caprice de femme, vanité d’homme, le souci des apparences ne mènerait-il qu’au néant et au mensonge ?
Au fond, on sait bien que dans le jeu des hommes, tout - ou presque - n’est que vanité. Mais il y aurait un piège à rejeter d’emblée cette question du vêtement au prétexte qu’elle est futile, car nous tomberions dans une sorte de cynisme, de nihilisme ou d’inhumanité absurde. Tous les courants philosophiques ou spirituels qui ont prôné le mépris des conventions, du soin du corps ou du souci esthétique l’ont fait au détriment d’une vision équilibrée de l’homme, ils ont arraché à la nature humaine une de ses dimensions et ont produit des êtres déboussolés ou monstrueux.
Au sein de la question de l’apparence, il faut bien distinguer la mode de l’habillement en général. La mode désigne couramment des usages et des façons qui sont par essence passagères. Elle s’oppose à tout ce qui est inactuel, classique, vieillot, trop conventionnel et désuet. La mode présuppose une évolution constante des moeurs. Tandis que l'habillement est un concept plus vaste qui recouvre tant le costume traditionnel que professionnel. On peut tout à fait concevoir un être qui soigne son apparence sans pour autant s’intéresser à la mode dans ce qu’elle a de passager et fluctuant.
On doit constater qu’il n’existe aucune culture dans laquelle l’apparence extérieure n’ait pas son importance. Même les papous et les indiens d’Amazonie accordent de l’importance à leurs tatouages, portent des bijoux ou des coiffures. Le vêtement est plus qu’un voile pudique, il n’est pas seulement utile (pour se protéger du chaud ou du froid), il est un moyen d’expression. Le vêtement signifie quelque chose, il peut marquer l’appartenance à un clan, un rang ou une fonction dans la société. Il y avait autrefois en Normandie ou en Bretagne des coiffes propres à chaque région, les paysans portaient des ceintures, des gilets ou des foulards qui marquaient leur appartenance à un village. Le vêtement a souvent été lié à l’histoire des métiers et des corporations. Même à notre époque on en garde encore quelques traces : les facteurs, les policiers et les soldats portent un uniforme, les avocats et certains prêtres portent une robe. Leurs vêtements officiels ne sont pas purement utilitaires comme le bleu de travail ou la blouse du chirurgien, il s’agit de les distinguer aux yeux de la société en tant que représentant d’une institution. Le vêtement a donc une fonction sociale, il dit qui je suis et d’où je viens.
Dans les sociétés traditionnelles d’autrefois, on portait les vêtements de son clan, on ne choisissait pas son style mais on appliquait des codes transmis par les ancêtres et la coutume. Contrairement à la mode, dans laquelle l’individualité joue un rôle important, l’habillement traditionnel mettait en avant la dimension communautaire tout en véhiculant un cadre social. Et s’il y avait une place pour la coquetterie, il y en avait assez peu pour la fantaisie.
La mode et ses extravagances éphémères ont longtemps été une affaire réservée aux élites, d’abord dans les cours aristocratiques puis, par imitation, chez la bourgeoisie urbaine. Le concept de « mode » recouvre néanmoins des phénomènes distincts. La mode en tant que souci esthétique, recherche de la nouveauté, besoin de plaire et de se distinguer mais aussi de se conformer aux codes dominants, pourrait se confondre avec la mode contemporaine, et pourtant on verra que la société de consommation a introduit quelques basculements majeurs.
Un des principaux facteurs de ce changement est le développement de l’industrie textile. Au XIXeme siècle on est capable de produire du tissu en masse mais les tailleurs gardent un rôle central dans la confection des vêtements, jusque dans les années 1970. Ce n’est qu’avec le développement du textile chinois et la mondialisation que vont apparaître des produits comme les baskets, les survêtements et le prêt-à-porter bon marché. Plus on inonde le marché de produits textiles jetables standardisés, et plus les anciens fabricants européens disparaissent. Malgré la haute couture et un renouveau du made in France depuis les années 2010, la France ne produit que très peu de vêtements, l’Italie conserve quelques ateliers dans la fabrique du cuir et une tradition du sur-mesure. Les dernières usines textiles d’Europe sont en Roumanie. L’excellence des savoir-faire textiles est en voie de disparition, elle survit heureusement grâce à quelques passionnés qui refusent de céder au laisser-aller généralisé.
La mode est devenue un phénomène essentiellement lié au capitalisme et à la technique. Les modes d’aujourd’hui dépendent quasiment exclusivement de la publicité et des relais médiatiques par l’intermédiaire d’influenceurs sponsorisés. Cela n’a pas toujours été le cas. Jusque dans les années 1980, les sous-cultures (punk, rasta, skinhead, gabbers…) avaient une réelle influence sur les mouvements de la mode. Même si la publicité cherchait à récupérer ces courants tout en les influençant, les phénomènes de mode échappaient en partie aux logiques de marché. Aujourd’hui on peut considérer que les cultures jeunes comme celle du rap, geek ou woke sont totalement contrôlées par la publicité.
Dans le phénomène de la mode, il y a une tension entre la dimension collective et la dimension individuelle. Le message publicitaire donne l’illusion de la liberté et de la singularité. On choisit telle paire de baskets ou tel tee-shirt pour exprimer sa personnalité, tout en obéissant à des logiques de standardisation massive. Plus ou moins consciemment, la mode nous fait rentrer dans des logiques collectives et sociales, on se conforme à des codes, on suit un changement collectif, on prend garde à ne pas paraître ringard aux yeux des autres.
Alors que le vêtement traditionnel constitue une norme communautaire qui permet de s’identifier dans une appartenance héritée, que la mode d’hier supposait la recherche aristocratique du beau - c'est-à-dire l’élégance - mais aussi des capacités créatives et une excellence dans l’artisanat, la mode d’aujourd’hui repose surtout sur le désir de l’individu - suggéré par la publicité - de s’identifier à un groupe plus ou moins artificiel et médiocre. Le capitalisme ne peut qu’amplifier les phénomènes de mode dans la mesure où il ne peut exister sans créer en permanence de nouveaux désirs, la mode se prête parfaitement à ce jeu. Ainsi on peut dire que la mode est devenue un phénomène essentiellement lié à la consommation, à l’achat compulsif et à la manipulation publicitaire.
Face à ce constat, quel REGARD PORTER sur la mode ?
Enracinement : la mondialisation a uniformisé l’habillement partout sur la planète en imposant les standards américains. Le jeans, les baskets, le tee-shirt, le costard mal taillé, les survêtements de sport, les maillots de foot constituent l’uniforme planétaire. A contre-courant de cette mascarade commerciale nous pourrions chercher à porter des pièces héritées de nos vieilles provinces. Evidemment il serait sans doute ridicule d’arborer des coiffes bretonnes pour aller au travail lorsqu’on n’est pas crêpière ou danseuse folklorique. Il ne s’agit donc pas de se déguiser en paysan basque, corse ou provençal. Il existe néanmoins certaines pièces qui peuvent trouver leur place dans le dressing contemporain : un gilet, un foulard, une jupe, une veste, une ceinture, un béret… Les esprits les plus créatifs parmi nous pourraient s’emparer de certains vêtements iconiques de leur province pour les rajeunir et s’inspirer d’habits traditionnels pour créer la mode enracinée de demain. À nous de la réinventer et de se réapproprier notre héritage !
Anti-consumérisme : la mode contemporaine est basée sur notre concupiscence : achats impulsifs, suivisme moutonnier, préférence de la quantité sur la qualité. On achète des vêtements pas cher et de mauvaise qualité selon un cycle répétitif et accéléré. Les magasins H&M, Zara, Celio, Jules et compagnie, qu’on retrouve dans toutes les villes de France, constituent les symboles de cette frénésie consumériste. Evidemment ces fringues jetables sont produites dans les pays où la main d’œuvre est la moins chère (Chine, Vietnam, Pakistan, Bangladesh…) dans des conditions sordides. Tout ça pour engraisser les multinationales attachées à détruire toutes les valeurs traditionnelles. Pourquoi n’adoptons-nous pas la maxime « Je ne suis pas assez riche pour acheter bon marché » ? Ces fripes en tissus synthétiques seront abimées, décousues, détendues, boulochées, ou décolorées avant d’être démodées. Pour le prix de trois ou quatre paires de baskets de marque, nous pourrions nous payer des souliers qui durent une vie. Avec un peu de volonté mêlée à du bon sens nous pourrions facilement échapper à ce piège de la consommation. Même lorsqu’on aime un peu trop s’habiller, il est possible de trouver quelques subterfuges : acheter des vêtements d’occasion de meilleure qualité, préférer des pièces iconiques résistantes aux tendances trop éphémères dont les prix sont artificiellement gonflés par la demande du moment. Retrouvons le goût des belles matières et des produits bien travaillés.
Patriotisme économique : la recherche du maximum de profit s’est faite au détriment de la qualité et des salaires. La délocalisation massive de la production textile en Asie a eu pour conséquence les faillites en série de milliers d’entreprises françaises et européennes. Il est devenu quasiment impossible de produire une veste ou une robe 100% made in France à un prix abordable. En toute logique nous devrions préférer la qualité à la quantité, et le savoir-faire de nos artisans à la camelote étrangère, et pourtant, bien souvent nous faisons l’inverse. Dans la mesure du possible, efforçons-nous d’acheter a minima des vêtements faits en Europe, et si possible en France. C’est possible par exemple pour les chaussettes ou les collants, pour un prix relativement raisonnable on s’en tire avec des produits bien plus durables.
Équilibre entre esthétique et futilité, coquetterie et ridicule : Montesquieu dénonçait déjà au XVIIIème siècle les caprices de la mode. De même que celui qui néglige sa tenue semble manquer de la politesse la plus élémentaire et passe pour quelqu’un qui n’a aucune élégance, l’excès inverse peut conduire à la superficialité ou au ridicule. Les gens qui ne font aucune attention à la manière dont ils s’habillent, se coiffent, se maquillent ou se rasent oublient peut-être que la tenue est une marque d’attention pour soi-même et pour les autres. Bien se tenir, bien s’habiller, cirer ses pompes et peigner ses cheveux sont des choses simples et qui révélaient autrefois une certaine forme d’esprit aristocratique : le goût pour le meilleur. Les modes contemporaines sont malheureusement envahies par le règne de la laideur : on cultive le relâchement, la dysharmonie des couleurs, l’indécence et le mauvais goût. Un certain classicisme, une certaine droiture, un certain raffinement paraissent aujourd’hui guindés. Evidemment il peut paraître excessif de se promener en smoking en toute circonstance, mais de là à refuser tout effort, au point de ne porter que des baskets et des tee-shirts, il semble qu’on puisse trouver un juste équilibre. Gardons en tête que l’habit est une parade, un déguisement, et au final une vanité, mais qu’il fait aussi partie de notre condition humaine depuis Adam et Eve et leur sortie du jardin d’Eden. Y accorder une juste importance c’est donc à la fois rendre hommage à la beauté, et témoigner à autrui de l’importance. Cette juste importance accordée à l’apparence doit s’accompagner d’un peu d’humour et de légèreté à la française : prendre au sérieux ce qui a peu d’importance et ne pas trop prendre au sérieux les choses importantes.
Question subsidiaire : Y a-t-il une mode de droite ?
Depuis les Incroyables et les Merveilleuses - courant de mode du XIXème siècle, en réaction à la Révolution française - les idées politiques s’expriment aussi à travers la mode. Comme il y a plusieurs droites en politique, il y a aussi plusieurs « modes de droite ». Jusque dans les années 2000, la bourgeoisie de droite s’était réfugiée dans le style BCBG - pull noué sur les épaules, jupe plissée, serre-tête, mocassins et pantalon en velours - ou le dandysme pour les plus excentriques. Les classes populaires urbaines s’étaient en partie accaparé les sub-cultures de ces années-là : d’abord le mouvement skinhead, puis gabber et enfin le mouvement casual des hooligans. Aujourd’hui, il semblerait que nous nous dirigions vers une normalisation vestimentaire de la droite, même si certains codes persistent (le manteau Barbour, la veste autrichienne, le polo Fred Perry ou le Harrington). Les skinheads ont quasiment disparu, le style BCBG est lui aussi tombé en désuétude. Dans les années 2010 on a vu apparaître des sortes de hipster de droite : tatouages plus subtils que ceux des skins, grosse barbes, vêtements branchés. Les champions de cette tendance furent sans doute les Italiens de Casapound. Le bourgeois de droite se boboïse un peu, les hommes portent des sneakers et des jeans en selvedge, les femmes se sapent chez Sézanne, Balzac ou Des Petits Hauts… On peut sans doute se réjouir de voir émerger un nouveau style à la française avec le retour des bretelles ou du béret popularisé par l’Atelier Missor ou les cuisiniers de Gueuleton.
Les Incroyables et les Merveilleuses au début du XIXème siècle :
Skinhead et bird dans les années 1980 (la subculture skin a aussi été adoptée par l'extrême gauche Antifa et par des skins apolitiques) :
Les bourgeois de droite ou le style BCBG/catho tradi : la photo est évidemment caricaturale. On peut penser au serre-tête et à la jupe plissée à carreaux, au manteau en Loden... La gauche s'en est beaucoup moquée, notamment à travers les parodies de manif de droite.
Le style gabber a quasiment disparu, et pourtant il fut en vogue dans certains milieux radicaux dans les années 1990-2000.
Développé en Angleterre pour passer inaperçu dans les stades de foot, le look casual est devenu iconique : Adidas samba, Google Jacket CP Company, Bob, Lyle & Scott, Ellesse, Napapijri, North Face...
Le look « white summer » de l'alt-right américaine est souvent porté en dérision ou par humour par les patriotes européens. La veste hawaïenne en est l'élément phare.
Hipster de droite ? Difficile à qualifier, une nouvelle tendance vestimentaire est apparue dans les années 2010 : mi-rocker, mi-skater, mi-hipster. Barbe fournie, New Balance, parka Pivert, tatouages soignés... Le mouvement italien Casapound y est sans doute pour beaucoup.
Le Dandy : quelles que soient les époques on le reconnaît à sa mise soignée : costume sur-mesure, pochette en soie, coiffure travaillée... toujours en recherche d'élégance. Julien Rochedy incarne assez bien le dandy de droite contemporain.
La veste autrichienne : un basique de droite ? Trachtenjacke : la veste traditionnelle des Alpes (Tyrol, Bavière...) a su résister aux ravages de la mondialisation. Aujourd'hui, elle semble être devenue un véritable dress code dans certains colloques conservateurs.
Côté féminin, la mode de droite se caractérise sans doute par une certaine élégance et une féminité assumée. Un style un peu BCGB ou vintage, les filles de droite semblent apprécier les friperies, et réassortissent des belles pièces d’avant avec des accessoires d’aujourd’hui.
Le retour du Marcel, des bretelles et du béret : ces pièces iconiques sont remises au goût du jour par l'Atelier Missor ou les cuisiniers de Gueuleton.
Victor Aubert
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