« Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur », écrivait le dramaturge Beaumarchais, éditeur de Voltaire et révolutionnaire passionné avant de subir la Terreur. La sentence est devenue la devise du Figaro, qui lance une campagne en faveur de la liberté d’expression.
A l’heure du wokisme, cette campagne est bienvenue. Mais on garde cependant un arrière-goût amer dans la bouche lorsqu’on s’échine à promouvoir la liberté d’expression derrière l’étendard de la critique permanente. Celle-ci pourrit tout en France depuis deux à trois siècles. S’il est vital de poser un diagnostic, de dresser un état des lieux avant inventaire, il n’est pas moins vrai que la polémique est une maladie de nation sur le déclin, qui, rendue incapable de rayonnement, ne sait plus que s’entredévorer sur des plateaux de télévision.
Ce culte rendu à l’indignation, dans un énième remake du « J’accuse ! » de Zola, s’apparente, pour les choses publiques, à la médisance dans le cercle des relations privées. Quand on n’a plus de bras pour agir, ni de cerveau pour penser, il nous reste la bouche pour vomir.
« Pourquoi se reposer alors que nous sommes faits pour le travail ? » interroge l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, ce chef d’œuvre de la pensée monastique paru entre le XIVe et le XVe siècle. Cette question est liée à la question de la liberté d’expression. Celle-ci est-elle un droit inaliénable, attribut incontestable de l’individu souverain, ou une permission donnée aux citoyens comme à des organes actifs, et productifs, d’un corps social ? J’incline évidemment pour la seconde option, même si j’entrevois les dangers d’une conception traditionnelle de la liberté d’opinion, pour ne pas dire « traditionnaliste », quand elle est mise en œuvre par nos ennemis.
Cependant, il faut se poser une autre question : sommes-nous d’éternels contestataires, nous les rebuts droitiers de la France macronienne, ou aurons-nous un jour l’opportunité d’agir pour le bien commun avec des pouvoirs étatiques ? Le contestataire l’est par défaut. Il doit toujours avoir, dans son sac, à côté des bombes artisanales de la mise au pilori, des couteaux de Delphes pour réparer les dégâts occasionnés à notre pays par des idéologies absconses.
La campagne du Figaro nous interpelle : qu’est-ce qu’un journal ? Est-ce seulement un défouloir intellectuel, un bouillonnement d’idées (somme toute intelligentes) ? Il y a peu de titres dans la presse française, qui, aujourd’hui, se montrent pédagogues et constructifs. Le mérite des utopistes, de Platon à Thomas More, est d’avoir utilisé la liberté pour inventer des systèmes radicalement différents du monde alentour et, ainsi, de proposer une gymnastique de l’esprit essentielle aux partisans de grands changements. Cette liberté-là me semble plus intéressante que celle de « blâmer », reflet d’une vision libérale de la société où les protestataires auraient plus de mérite que les bâtisseurs, le « Pouvoir » étant conçu comme ennemi de l’homme par nature.
Les premiers chrétiens ne passaient par leur temps à « blâmer » l’empereur romain, leur bourreau. Non. Ils priaient et dispensaient leur savoir comme une araignée tisse sa toile.
Julien Langella
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