Le 20 mai, sur Sud Radio, le russophile Sylvain Tesson surprit ses interlocuteurs par sa sympathie à l’égard de l’Ukraine. « On peut gloser sur les motifs de la guerre mais c’est un peu obscène. […] Je l’ai fait dès 2015 en parlant de la ceinture de l’OTAN […]. Ce que je veux dire maintenant, c’est ma fascination pour un peuple en armes qui se dresse contre un agresseur. Le moment est à avouer que l’on est stupéfait de voir un phénomène assez fascinant, non pas la naissance d’une nation, puisque la culture ukrainienne existe depuis des siècles, mais la naissance d’un sentiment national par le mythe de la guerre […]. Le font baptismal de beaucoup de nations, c’est le sang. »
Dans ces mots résonne le bon sens de l’idéaliste. L’idéaliste, qui n’est pas l’utopiste, voit la réalité à travers le filtre de quelques principes intellectuels, peu nombreux mais intangibles, qui lui servent de boussole. Pour Tesson, l’admiration d’une forme d’« héroïsme national » semble plus importante que la recherche, à la façon d’un journaliste d’investigation, des racines cachées d’un conflit en cours. A raisonner comme un enquêteur, mû par le seul prisme du « ça-profite-à-qui ? », on quitte le domaine des vertus (pourtant essentielles à l’équilibre d’un homme, à la solidité d’une famille et à la pérennité d’une cité) pour dénigrer des valeurs comme le courage, l’abnégation ou l’aptitude à espérer dans la tempête dès lors que celui qui les met en pratique ne nous paraît pas assez « dur » sur ceci, « trop influencé » par Machin sur cela… C’est une attitude de perdant et d’aigri, une posture groupusculaire.
Lorsqu’on pense avoir tout perdu sur le terrain politique, on se complaît dans l’analyse, se prenant pour Edward Snowden, afin de gagner en aura dissidente ce que l’on a perdu en capacité d’action. L’affaire russo-ukrainienne est un efficace révélateur des névroses d’une partie de notre camp, hantée par sa défaite, qui ne raisonne plus positivement, par adhésion à un cap intellectuel, mais par la négative.
Une partie notable des nationalistes ne sont plus nationalistes. Ce sont des contrairiens. Ils prennent, par principe, le parti contraire du « Système ». Anti-Américains par antilibéralisme, par rejet de la médiocrité hollywoodienne et du consumérisme (dégoûts parfaitement légitimes !), ils ne voient pas d’un mauvais œil la restauration des statues de Lénine dans les villes prises aux Ukrainiens par les soldats qui déploient la bannière rouge, faisant flotter la faucille et le marteau. Par opposition à Mamon, au dieu Argent, ils relativisent le poison inoculé par le totalitarisme communiste dans le sang des peuples d’Europe orientale. L’URSS se trouve blanchi de l’Holodomor, de Katyn et du goulag par le rideau qu’elle aurait opposé entre « l’Est » et la décadence de l’American Way of Life. Cette idée fleurit volontiers sous la plume d’internautes très à droite. La géopolitisation systématique des discussions fait apparaître des cœurs veules, trop occupés à savoir qui finance le régiment Azov pour se rendre compte du courage de ces civils ukrainiens qui tiennent la défense de leur ville avec des bouts de ficelle.
« Dans un conflit, dit encore Tesson, les statistiques et la stratégie ne suffisent pas à déterminer le gagnant. Il y a quelque chose de plus important, c’est la force morale. » Voilà ce que la droite, la vraie, doit reconquérir pour proposer autre chose que de l’aigreur numérique : la force morale.
Julien Langella
Retrouvez tous les samedis, dans le Quotidien Présent, les réflexions inspirées par l’actualité à Julien Langella, cofondateur de Génération identitaire et membre d’Academia Christiana.
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