L’Allemagne vote à droite, mais gouverne à gauche.Pourquoi l’hégémonie culturelle précède le pouvoir politique - David Engels
- Academia Christiana
- il y a 5 jours
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Ces derniers mois, partout en Europe, les médias alternatifs prennent un certain plaisir à mettre en lumière la montée inexorable de l’AfD allemande, ce fameux parti d’opposition de droite qui, pour certains, représente le dernier espoir d’un revirement conservateur de notre continent — et donc un partenaire naturel pour d’autres mouvements patriotiques —, tandis que pour d’autres, il ne constitue qu’une énième résurgence du nationalisme allemand, et s’affirme ainsi comme un adversaire structurel de tout authentique parti patriote français. Dans ce qui suit, nous ne prétendrons certes pas trancher la question de ce que veut véritablement l’AfD — encore faudrait-il que le parti en ait lui-même une idée claire, ce qui est loin d’être acquis —, mais nous nous attacherons plutôt à démontrer qu’un retournement politique significatif outre-Rhin n’est ni pour demain, ni pour l’année prochaine.

Alors, que se passe-t-il réellement ?
Le 9 avril dernier, la nouvelle majorité parlementaire allemande est parvenue, après de longues négociations, à conclure un accord gouvernemental permettant la mise en place d’un exécutif. Deux constats majeurs s’imposent d’emblée, et résument déjà à eux seuls ce qui suit : d’une part, malgré une victoire électorale indiscutable de la droite, le programme adopté est résolument ancré à gauche ; d’autre part, le fameux « cordon sanitaire » s’est trouvé encore davantage enraciné dans la culture politique allemande. Examinons à présent les faits dans le détail.
On se souvient que, suite à l’effondrement total de la coalition gouvernementale précédente — la plus impopulaire de l’histoire allemande depuis 1945 —, des élections anticipées ont dû être convoquées. Sans réelle surprise, les anciens partis de la coalition en ont été les grands perdants, à commencer par les socio-démocrates, dont le score s’est effondré en allant de 25,7 % à 16,4 %, suivis des libéraux, qui, passant de 11,4 % à 4,3 %, ont même perdu toute représentation parlementaire. Les écologistes, bien qu’ayant été le principal moteur idéologique du gouvernement — et, de facto, l’une des causes centrales de son impopularité —, ont réussi à limiter leur recul, ne perdant que trois points, de 14,7 % à 11,6 %. Dans ce contexte, les chrétiens-démocrates de la CDU, bien qu’ayant enregistré une progression modeste de 4,4 %, ont émergé en tête avec 28,5 % des voix, prenant ainsi l’initiative de former un gouvernement. Le partenaire naturel aurait dû être l’AfD, qui a quasiment doublé sa représentation parlementaire, passant de 10,4 % à 20,8 % : une victoire éclatante. Mais, cordon sanitaire oblige, la CDU a préféré se tourner vers le principal perdant du scrutin — les socio-démocrates de la SPD — pour former une nouvelle majorité parlementaire, aussi fragile que paradoxale.
Résultat : le parti que les électeurs avaient voulu sanctionner le plus sévèrement se retrouve à nouveau au pouvoir, et ce avec le soutien actif du parti censé incarner un changement de cap politique. Et le contenu du traité de coalition reflète pleinement ce renversement : non seulement les socio-démocrates obtiennent bon nombre de ministères stratégiques — Finances, Justice, Travail, Défense, Environnement, Développement, Logement —, mais encore, les piliers idéologiques du gouvernement précédent sont reconduits presque à l’identique. Presque tous les thèmes de campagne de la CDU ont disparu. À leur place, on retrouve, inchangés : la neutralité climatique, l’immigration de masse, le refus de tout retour au nucléaire, les politiques anti-discrimination, la censure sur Internet, la stratégie sanitaire, la « protection de la démocratie » contre ses adversaires supposés — en somme, exactement le même programme qu’avant les élections, si ce n’est quelques ajustements purement cosmétiques. Ainsi, les Allemands ont massivement voté pour se débarrasser d’un gouvernement de gauche, mais c’est pourtant une coalition en totale continuité idéologique avec ce dernier qui s’apprête à les diriger.
Comble du paradoxe, les écologistes eux-mêmes, bien qu’exclus de la nouvelle majorité, sont parvenus à imposer la poursuite de la plupart de leurs orientations politiques. Pourquoi ? En raison d’un impératif stratégique : après le rappel à l’ordre adressé par Donald Trump à l’OTAN, l’Allemagne ne pouvait plus continuer à sous-financer sa défense nationale — le budget militaire allemand plafonnait à 1,1 % du PIB, au lieu des 2 % exigés. Toutefois, l’endettement supplémentaire était interdit par la Constitution. Or, lever de nouveaux impôts ou sabrer dans d’autres postes budgétaires aurait risqué de heurter des franges électorales sensibles. Il fallait donc modifier la constitution. Mais pour cela, il fallait une majorité des deux tiers — majorité dont la coalition nouvellement formée ne disposait pas. Même en s’adjoignant le soutien des écologistes, elle n’y parvenait pas. La solution, sans précédent : rappeler exceptionnellement l’ancien parlement, dont la configuration — CDU, SPD, Verts — permettait d’atteindre cette supermajorité. C’est donc avec les voix d’une assemblée pourtant déjà démise de ses fonctions, et grâce au soutien d’un parti désormais hors gouvernement, qu’a été entérinée une série d’amendements constitutionnels permettant un endettement massif. Et bien entendu, les écologistes ont fait payer leur soutien : ils ont exigé, et obtenu, une augmentation supplémentaire de 100 milliards d’euros de dettes, exclusivement allouées à la lutte contre le changement climatique.
En ce qui concerne maintenant le cordon sanitaire, une nouveauté d’importance a été introduite dans le contrat de coalition : les deux partis signataires s’engagent à exclure formellement toute forme de coopération avec ce qu’ils appellent l’« extrême droite ». Le texte précise (je cite) : « Les partis démocratiques du centre politique ont une responsabilité particulière dans la protection et le renforcement de l’ordre fondamental libéral et démocratique. Les partenaires de la coalition excluent à tous les niveaux politiques toute coopération avec des partis anticonstitutionnels, antidémocratiques et d’extrême droite. Au Parlement, cela concerne notamment les propositions conjointes, les accords électoraux ou toute autre forme de coopération. » On passera ici sur le fait devenu banal que seule l’« extrême droite » est visée, et non l’« extrême gauche » : l’asymétrie idéologique, selon laquelle la gauche serait toujours morale et fréquentable, et la droite toujours suspecte et condamnable, est une constante bien ancrée, aussi bien en France qu’en Allemagne. D’ailleurs, la CDU — le parti d’Helmut Kohl et de la réunification allemande — a déjà prouvé dans le passé que, lorsqu’il fallait choisir entre une alliance avec l’AfD ou une coopération avec les néo-staliniens de l’extrême gauche, elle penchait sans hésiter pour la seconde option. Mais ce qui est plus grave encore, c’est que cette clause contraint désormais tous les échelons institutionnels de la République fédérale — du Bundestag aux Länder — à respecter cette exclusion, ce qui revient à nier la diversité politique régionale qui faisait jusqu’ici l’une des particularités de la démocratie allemande. Le SPD a donc réussi à faire signer à la CDU une renonciation officielle à toute collaboration avec l’AfD — soit le seul partenaire potentiel capable de ramener la CDU vers ses racines patriotiques et conservatrices.
Fait plus ironique encore : les nombreux scandales politiques de ces dernières semaines ont fait grimper l’AfD à 26 % d’intentions de vote, ce qui en fait désormais le premier parti d’Allemagne. Pourtant, cette progression ne produit aucune conséquence immédiate sur la politique nationale. Pire : elle pourrait même avoir un effet inverse, car plus l’AfD progresse, plus les autres partis resserrent leurs rangs autour d’une ligne commune incluant de facto l’extrême gauche, dans le seul but de bloquer toute percée électorale. En d’autres termes, plus les Allemands votent pour l’AfD, plus le pays est gouverné par la gauche. Et plus la CDU s’éloigne de ses valeurs originelles, plus elle perd en crédibilité et s’aliène son électorat, ce qui la rend de plus en plus dépendante de coalitions à gauche.
Mais alors, qu’en est-il de l’évolution à long terme - la montée de l’AfD ne paraît-elle pas, à première vue, irrésistible ? Le constat reste mitigé. N’oublions pas que le durcissement du cordon sanitaire signifie également que les voix allant aux partis traditionnels deviennent de plus en plus des votes de rejet de l’AfD : aujourd’hui, si une personne sur quatre vote pour cette dernière, les trois autres votent contre elle, en pleine conscience de cause. Certes, l’AfD pourrait atteindre les 30 % un jour, mais cela représenterait probablement un plafond durable qui, en termes d’accès au pouvoir, ne changera rien au niveau institutionnel — du moins à court et moyen terme. Le système actuel est conscient de son impossibilité de durer, mais dans la démocratie telle qu’elle fonctionne désormais, cela importe peu : l’enjeu consiste à survivre d’échéance électorale en échéance électorale, puis à s’éclipser opportunément au moment du naufrage — naufrage qui risque d’engloutir non seulement les partis traditionnels, mais aussi l’AfD elle-même.
Et qu’en est-il de la France ? Deux leçons s’imposent. D’une part, espérer que l’Allemagne suive l’exemple des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Italie ou de la Hongrie pour impulser un changement conservateur à Bruxelles ou à Paris est un mirage : ce pays est, et restera, solidement ancré à gauche, et cela ne changera pas de sitôt. D’autre part, l’exemple allemand fournit un enseignement capital à la droite française : le cordon sanitaire est beaucoup plus solide qu’on ne veut le croire, et il est probable que le système en place ne disparaîtra qu’avec l’effondrement complet du pays lui-même ; du moins en France et en Allemagne — les deux piliers de la construction européenne —, même si la situation est plus contrastée en périphérie.
Ce qui nous ramène, comme toujours, à ce que je considère comme mon mantra fondamental : la lutte politique est cruciale, certes, mais la lutte culturelle l’est encore davantage. Ce n’est pas dans les parlements que s’effectuera un basculement patriotique réel, mais sur le terrain. La victoire électorale ne précédera pas un changement profond des mentalités sur les questions identitaires ; elle en sera la conséquence. C’est donc dans la reconquête culturelle et identitaire que les forces patriotiques doivent investir leur énergie, bien plus que dans les seules campagnes électorales ou les jeux d’appareil. Il s’agit de bâtir une France — voire une Europe — parallèle, fière de son identité, forte de ses propres mécanismes de solidarité, dotée de sa propre cohésion sociale, de ses propres circuits économiques, de ses propres institutions, de ses propres créations culturelles, de sa propre spiritualité, de son propre système d’éducation, de ses propres formes de sécurité, de ses propres forteresses de souveraineté, de ses propres élites, de ses propres figures de référence exemplaires. C’est cela le chemin à suivre : avant de former un véritable gouvernement, il faut d’abord refonder un véritable peuple.
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