Contexte
Récemment, de nombreux étudiants en écoles d’ingénieur ou en écoles de commerce ont fait le choix de « démissionner » de leurs cursus et de rompre avec leurs carrières, pour des raisons écologiques.
Dans un fracas médiatique, ils se sont justifiés en déclarant ne pas vouloir travailler à la perpétuation d’un « système économique et social écocidaire ». Ils ont déploré l’orientation libérale des programmes d’enseignement, trop axés selon eux sur la recherche aveugle du profit au détriment du bien commun, et l’absence de formation suffisante aux enjeux de la transition écologique.
Par la suite, la plupart d’entre eux ont « bifurqué » vers des orientations professionnelles « alternatives », le plus souvent à travers des engagements dans des mouvements d’écologie politique. Ils se revendiquent ouvertement comme des « déserteurs » du système.
Je vous propose l’analyse suivante pour tenter de d’expliquer et de comprendre ce phénomène.
Le système, ses élites et leur reproduction.
Le terme étant devenu un lieu commun, il faut d’abord définir ce qu’est le « système » critiqué par ces étudiants : il s’agit du système idéologique néolibéral et technocratique qui domine en France, et plus largement dans la plupart des nations occidentales. Ce système s’appuie sur un réseau de dirigeants et de haut responsables, le plus souvent organisés selon un mode oligarchique. Il englobe la plupart de nos élites politiques, économiques et médiatiques.
Ce sont les politiques menées par ce système depuis une quarantaine d'années que les déserteurs tiennent pour responsables de la crise écologique que nous traversons aujourd’hui.
Or, pour assurer sa pérennité sur le long terme, ce système a avant tout besoin de reproduire les élites qui le composent. Dans le cas français, les grands corps de l’Etat, les écoles d’administration, mais également les grandes écoles d’ingénieur et de commerce constituent un réservoir de cadres : ils fournissent à la société des jeunes diplômés prédestinés à occuper des postes à haute responsabilité au sein de la haute administration, dans les directions d’entreprises, et dans les institutions politiques. Ces écoles sont une manne pour le système, qui s’en sert comme d’un vivier pour choisir et recruter ses futures élites.
L’acte que posent ces « déserteurs » peut donc se comprendre comme un refus de participer à cette entreprise de reproduction du système. Face aux enjeux écologiques, il s’agit au contraire pour eux de s’engager contre celui-ci, dans des mouvements d’écologie politique. Ainsi, cette « désertion » peut se comprendre comme un acte de libération, un refus de servir un système fondamentalement anti-écologique, quitte à le laisser s’effondrer.
La question de savoir si le système actuel est encore réformable ou bien voué à l'effondrement constitue un débat à part entière. Cependant, on remarque qu’il est toujours plus confortable intellectuellement de penser que tout est à jeter, car cela nous délivre de nos engagements moraux envers la cité. Si tout doit s’effondrer demain, a quoi bon essayer de construire aujourd’hui ? Il en résulte un renoncement généralisé à la prise de responsabilité, que nous pouvons observer aujourd’hui.
Engagement sociétal
Or, les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce françaises dispensent des formations d’une qualité incomparable. En plus des élites dirigeantes, elles contribuent à la formation d'ingénieurs, de scientifiques, d’entrepreneurs, d’officiers militaires, et de commerciaux absolument indispensables au bon fonctionnement de notre société.
Toutes ces personnes disposent de compétences et d’expériences rares qui, mises au service d’un engagement sociétal, apportent une réelle plus-value dans la portée de celui-ci. De plus, elles occupent généralement des postes à responsabilité au cœur du système, et possèdent donc une connaissance fine et approfondie de son fonctionnement interne.
Démissionner de tels cursus universitaires revient à se priver de l’opportunité d’acquérir des compétences et des expériences indispensables à tout engagement sociétal sérieux. En ce sens, ces “déserteurs” se tirent une balle dans le pied vis-à -vis des engagements écologiques qu’ils choisissent de mener.
A rebours de cette mentalité de désertion, une jeunesse qui se voudrait réellement engagée et enracinée se doit d’affronter le problème en face, et de ne pas fuir la responsabilité sociétale qu’elle hérite et qui lui incombe.
Infiltration plutôt que désertion
Il apparaît ainsi indispensable de se former techniquement, d’acquérir de l’expérience, des compétences et des responsabilités avant de mener à bien un quelconque engagement. La portée et l’efficacité de celui-ci ne s’en trouveront que renforcées.
Il faut donc en quelque sorte « infiltrer » ce système plutôt que de le « déserter », profiter de ses formations, de ses expériences, acquérir des connaissances et des responsabilités en son sein pour espérer pouvoir un jour le réformer en profondeur.
Cependant, s’infiltrer dans le système, c’est évidemment prendre le risque de se faire corrompre par lui. Si nous croyons nos convictions suffisamment solides pour résister à son emprise, ça vaut le coup d’essayer.
Quentin
Comments