Il est plus difficile de bien vivre et de bien mourir dans la paix que dans la guerre.
Il y a dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, une minute où il semble que nous allons
toucher un plus profond mystère : c’est celle où Hécube s’écrie : Que les vieillards soient les
seuls guerriers ! Tout pays est le pays de la Jeunesse. Il meurt quand la jeunesse meurt, - et
où Cassandre lui répond : Erreur ! Dans le silence qui suit, on sent passer l’approche, le
battement d’aile noire de quelque vérité terrible. Mais Cassandre, la prophétesse, n’en dit
pas davantage, comme si soudain elle s’effrayait elle-même de ce que les Dieux lui ont
découvert. Devant ses yeux lucides, toute la race éphémère des jeunes hommes a surgi et,
derrière leur jeunesse, faite de l’angoisse du cœur et de la joie, c’est l’horizon de la guerre
qui, du même coup, vient lui apparaître.
Ce que Cassandre voit dans l’avenir, c’est que les portes de la guerre ne resteront jamais
fermées tant qu’il y aura des jeunes gens, car « il faut leur complicité pour que ces grandes
tueries soient possibles ». On eût aimé que Giraudoux, après avoir fait dialoguer les vieillards
sur la guerre, nous fît entendre aussi le chœur de la jeunesse impourvue, de celle qui ne
pèse pas plus qu’elle-même, qui ne pèse encore « ni une femme jeune, ni un enfant à
naître ». La jeunesse la plus libre, la plus farouche, celle que rien n’a encore déterminée, qui
n’offre prise à rien, pas même au bonheur, et dont pour cela on peut dire, comme Hélène du
petit Troïlus : Cela lui est égal de mourir, même plusieurs fois.
Henri Massis, Les idées restent
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