De quoi sommes nous faits ? D’os, de chair et de sang nous diront les matérialistes. Certains nous diront animés d’une énergie vitale, mais en fin de compte que nous sommes des animaux. Qui croire ?
À une époque où tout le monde pense que Dieu est mort, où le non sens règne en maître sur les existences, la vie paraît bien absurde. À quoi bon marcher, nous rassembler, servir, prier ? Que signifient nos rites, notre foi, nos projets ?
Nos anciens se posaient-ils pareilles questions ? Non mon ami ! Il faut croire. Non pas croire bêtement, parce qu’à une époque où règne la bêtise il faut faire comme tout le monde. Non ! Il faut croire parce que croire c’est vivre, c’est aimer et c’est être fort. Certes nous sommes une goutte d’eau, certes nous ressentons, particulièrement en cette période, un sentiment de dégoût face à l’absurdité et au chaos, mais il faut croire.
Je ne pense pas que la foi soit la seule chose qui nous reste, car nous pourrions nous repaître des plaisirs de la foule parmi la multitude servile. Nous ne croyons pas parce que cela nous rendrait plus heureux, il existe bien d’autres thérapies pour trouver le bonheur. Nous croyons parce que la foi est une force qui nous habite, parce que la vérité triomphe coûte que coûte face à l’absurde.
En quoi croyons-nous d’ailleurs ? D’abord en la vie « je suis la voie, la vérité et la vie » déclare le Christ. Notre foi c’est ce qui nous vivifie dans ce monde vétuste et sans joie. Quel miracle que la vie ! Et quelle absurdité aussi qu’une vie qui n’a pas de sens.
Dieu est amour.
Cette affirmation pourrait paraître blasphématoire tant le mot amour est devenu insupportable dans la bouche de nos contemporains. L’amour signifie aujourd’hui son opposé. Lorsqu’ils disent amour, ils camouflent leurs haines, leurs lâchetés et leurs égoïsmes. L’amour est viril et il implique un sacrifice qui nécessite une grande force. L’amour n’a rien à voir avec les préceptes des moralistes qu’on nous assène à longueur de temps sur toutes les chaînes.
« Tous les êtres dévorés par l'envie la plus basse, la plus perfide et aussi la plus incurable, car elle porte sur l'être et non sur l'avoir : l'envie de tout ce qui est né faible, douloureux, corrompu, esclave à l’égard de tout ce qui est fort, heureux, sain, dominateur. Pour ces déchets de l’humanité, le spectacle de la force et de la plénitude constitue une offense sans rémission un affront qui crie vengeance. Mais incapables de se venger effectivement, ils assouvissent leur rancune par des voies détournées ou imaginaires : en renversant à leur profit la hiérarchie des valeurs, en faisant une « vertu » de chacune de leurs impuissances, en calomniant la vie parce qu’ils portent déjà en eux la mort, en condamnant la force comme un péché parce qu’ils sont les plus faibles, en prêchant l’égalité parce qu’ils sont les plus bas, Et cette gerbe de mensonges, ils la lient avec le nom de Dieu qui les contient tous. »
Gustave Thibon, Notre regard qui manque à la lumière
L’amour a quelque chose à voir avec la vie et avec la vérité, tout individu sain sent, lorsqu’il est honnête avec lui-même, ce que l’amour lui commande. L’amour est une sorte de commandement vital, de loi de la nature. Porter le sein au nourrisson, porter l’enfant fatigué, consoler l’ami désespéré, et pardonner tant d’ingratitudes. Bien évidemment nous ne sommes pas toujours enclins à aimer comme il le faudrait, notre ego pèse lourdement dans la balance, mais l’amour n’est pas contre nature, c’est plutôt celui de notre nombril qui flétrit notre âme. C’est pour cette raison que l’amour est viril, l’amour suppose la force et le dépassement de soi.
« La Justice et la Miséricorde sont identiques et consubstantielles dans leur absolu. Voilà ce que ne veulent entendre ni les sentimentaux ni les fanatiques. Une doctrine qui propose l’Amour de Dieu pour fin suprême, a surtout besoin d’être virile, sous peine de sanctionner toutes les illusions de l’amour-propre ou de l’amour charnel. Il est trop facile d’émasculer les âmes en ne leur enseignant que le précepte de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu’on leur cacherait. On obtient, de la sorte, une religion mollasse et poisseuse, plus redoutable par ses effets que le nihilisme même.
Or, l’Évangile a des menaces et des conclusions terribles. Jésus, en vingt endroits, lance l’anathème, non sur des choses, mais sur des hommes qu’il désigne avec une effrayante précision. Il n’en donne pas moins sa vie pour tous, mais après nous avoir laissé la consigne de parler « sur les toits », comme il a parlé lui-même. C’est l’unique modèle et les chrétiens n’ont pas mieux à faire que de pratiquer ses exemples. Que penseriez-vous de la charité d’un homme qui laisserait empoisonner ses frères, de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l’empoisonneur ? Moi, je dis qu’à ce point de vue, la charité consiste à vociférer et que le véritable amour doit être implacable. Mais cela suppose une virilité, si défunte aujourd’hui, qu’on ne peut même plus prononcer son nom sans attenter à la pudeur ! »
Léon Bloy
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