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À l’origine de la crise de la communauté : l’individualisme




Dans les médias et les déclarations des hommes politiques, il est souvent question des dangers du « communautarisme », indûment amalgamé avec le péril du « repli sur soi ». Mais tout bien considéré ceux que l’on désigne comme « communautaristes » n’ont-ils pas tout simplement sauvegardé le sens du lien social ? Les communautés ne sont-elles pas, en l’occurrence, un grain de sable dans l’engrenage du système égalitaire et mondialisé qui les perçoit comme une entrave ? Il apparaît, en effet, que la diabolisation des communautés sous le vocable de « communautarisme » sert indubitablement les intérêts d’une idéologie qui les considère — à juste titre — comme un obstacle à l’émergence d’une humanité abstraite et déracinée.


Étymologiquement, le mot « communauté » vient du latin communus, lui-même dérivé de cum (ensemble, avec) et munus (charges et dettes, que l’on peut avoir avec autrui — impliquant donc le sentiment de reconnaissance et d’obligation mutuelle). Il y a donc un lien très fort entre communauté et lien social : la première organise le second, et le second ne peut s’envisager sans la première. La défaillance de l’un entraîne irrémédiablement la diminution, voire l’anéantissement de l’autre.


En soi, la communauté humaine n’existe donc pas (tout comme le mythe du citoyen du monde !), une communauté étant, par nature, restreinte. Celle-ci partage, en effet, un certain nombre de principes, de coutumes ou de rites, permettant à l’individu qui en fait partie de s’enraciner à la fois dans l’espace (avec sa terre et avec les siens) et dans le temps (en ayant la conscience de faire partie d’une lignée). Cet enracinement et ce sentiment d’appartenance passe donc par le lien social qui organise et structure la vie en communauté.


La crise des communautés est indéniable dans l’Occident moderne. Partant de ce constat, ce travail tentera d’en analyser les ressorts, explorer ses origines et donner quelques solutions pratiques.


La perte du lien social dans nos sociétés modernes



Une société atomisée


La perte du lien social entre les mêmes membres d’une communauté (nationale, régionale et même pré-politique, c’est-à-dire familiale) se constate aujourd’hui de manière empirique et évidente. L’idéologie individualiste irrigue toutes les sphères de la société avec la multiplication des divorces, l’accumulation des droits individuels (et la fameuse rhétorique du « droit à » : droit au mariage pour toutes les formes de couple, droit à l’enfant, droit à « mourir dans la dignité »), et ce, sans envisager aucunement la prise en compte de l’impact social de l’application de tels droits puisque tout doit partir de et revenir à l’individu.


Louis Dumont, anthropologue, spécialiste du système des castes indiennes, explique d’ailleurs dans son ouvrage Homo aequalis : genèse et épanouissement de l’idéologie économique que cette situation est le propre des sociétés occidentales modernes. Cet individualisme n’a, en effet, pas toujours existé par le passé, et il ne s’agit pas du modèle social structurant dans encore bon nombre de sociétés actuelles. L’individualisme de la société occidentale moderne tranche, en effet, radicalement avec les sociétés dites traditionnelles ou holistes où l’individu est subordonné à la réalité sociale.


Les conséquences de cet individualisme, selon Louis Dumont, se font d’abord ressentir dans le domaine des valeurs, auxquelles il y consacre tout un chapitre. L’individu étant devenu la référence unique, les valeurs sont individualisées. Il n’existe plus de référentiel absolu en termes de valeurs dans la société occidentale moderne. Il est donc parfaitement justifié, dans ces conditions, que les désirs des individus soient assouvis, puisqu’invoquer des principes moraux est non seulement une entrave à la liberté d’action de chacun, mais plus radicalement encore, parce que ces principes n’ont plus rien à nous dire car ne pouvant plus être collectifs et partagés.


Le culte du « présentisme » : une société sans passé, ni avenir




Le deuxième élément aux origines de la crise du lien social et des communautés est la perte du lien entre les vivants et les ancêtres (donc au plan « vertical »), et découle directement de l’individualisme horizontal. Pour reprendre l’exemple cité supra, puisque nous n’avons plus à partager de valeurs avec notre entourage, nous n’avons pas non plus à en hériter (les valeurs partagées sont évidemment, dans la plupart des cas, des valeurs héritées et transmises) : nous devons construire nous-mêmes notre socle de valeurs. Cette volonté de faire « table rase » trahit un véritable rejet, ou en tout cas une très grande défiance aux sentiments de dépendance ou encore de gratitude qui sont autant de vecteurs de liens, puisqu’au fondement de la logique de don-contre don dont parle Marcel Mauss. Débarrassés de tout devoir de transmettre, l’Européen moderne est sommé de ne plus perpétuer le modèle de « faire société/communauté » dont il a hérité : les valeurs sont individuelles, et naissent et meurent avec la personne qui les a portées.


La crise de la transmission est une conséquence directe de cette philosophie présentiste qui en déclenche une autre, plus grave encore, celle de la crise de l’identité. Le passé étant devenu une donnée brute qui n’a plus rien à nous dire, la perpétuation d’une tradition devient caduque, car il n’existe plus aucun principe immuable susceptible de traverser les générations. Cette perte du lien avec le passé et les ancêtres est d’une ampleur considérable car la transmission d’une tradition est un élément constitutif d’une mémoire à laquelle les membres d’une même communauté se réfèrent. La perte de ce précieux lien avec le passé et la tradition nuit directement au lien social : nous n’avons plus de mémoire à partager et la conscience communautaire s’effrite inévitablement avec la fragilisation du lien avec les ancêtres. En effet, une communauté se rassemble toujours autour d’un acte fondateur — donc situé dans le passé —, qui lui donne la conscience d’être une communauté. Par exemple, le baptême de Clovis acte la naissance de la France, de même que le mythe de Romulus et Rémus fonde Rome. Qu’il relève de l’historique ou du légendaire, (cela n’importe finalement que peu) l’acte de fondation d’une communauté se situant dans le passé permet aux individus qui y naissent d’y être profondément enracinés — car reliés à lui d’une façon ou d’une autre — et de se savoir appartenir à une lignée dont ils ont le sentiment d’être les dépositaires. La personne a conscience, en appartenant à une communauté, d’être plus qu’elle-même, qu’elle n’est que le maillon d’une chaîne à perpétuer.


La perte de la conscience historique et intergénérationnelle de l’existence humaine se poursuit également dans les programmes scolaires. Les enfants n’apprennent même plus l’histoire dans l’ordre chronologique et on leur enseigne, au contraire, à mépriser méthodiquement leur passé. Dans ces conditions d’apprentissage, il est difficile pour n’importe quel écolier français de s’identifier à de grandes figures nationales qui lui permettrait de prendre conscience de son appartenance à une communauté, à une patrie enracinée, et être prêt à la défendre s’il le faut. Les enfants se retrouvent ainsi déconnectés de leur passé, et disponibles pour le mondialisme nomade leur proposant un modèle d’humanité abstraite et déracinée, sans passé, et donc aussi sans avenir. Si Christopher Lasch traite volontiers l’éducation moderne de narcissique dans son essai Le culte du narcissisme, nous pouvons dire avec Hannah Arendt (La crise de la culture), qu’elle est aussi extrêmement puérile : les adultes se dédouanent du passé et de l’avenir, et n’assument plus de responsabilité envers les enfants dont ils ont pourtant la lourde tâche d’introduire dans le monde.


Société contre communautés : une articulation impossible ?




Les travaux du philosophe et sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), et plus particulièrement son ouvrage Société et communauté, sont très intéressants pour comprendre la nature même de ces deux modes d’organisation sociale, totalement opposés. Dans la communauté (Gemeinschaft), les relations humaines se déploient à l’intérieur de cercles affectifs (le plus souvent la famille et le voisinage) et surtout dans un espace restreint. Le village, à l’inverse de la ville où les gens se croisent sans se saluer, sont plus propices à l’épanouissement de communautés authentiques et enracinées. Le phénomène de l’urbanisation au XIXe siècle n’est d’ailleurs pas sans susciter l’interrogation et/ou la nostalgie de nombre de penseurs ou de sociologues comme Karl Marx, évoquant l’anonymat de la ville qui porte atteinte aux anciennes solidarités existant en milieu rural.


En communauté, la volonté de l’individu s’exerce toujours dans les limites que lui impose le tout. Tönnies résume bien cette mentalité : la communauté, c’est d’abord celle « de sang, de lieu et d’esprit ». A contrario, dans le modèle de la société (Gesellschaft), c’est l’individu qui prime. Séparant radicalement les personnes les unes des autres, la « société » se mute rapidement en société marchande où l’intérêt personnel est au fondement de toute relation sociale. Des actes gratuits comme le don et le contre-don évoqués précédemment, mais aussi la courtoisie ou le savoir-vivre passent désormais sous la trappe. Dès lors, il n’est plus difficile de comprendre pourquoi la société rend inopérants les fondements mêmes du lien social, puisque ceux-ci s’établissent sur des actes ne relevant pas de la concurrence, elle-même le socle de la « société ». Ces deux conceptions des relations humaines sont donc totalement irréconciliables.


La communauté serait ainsi mue par le bien commun, tandis que la notion d’intérêt général est davantage mobilisée par la société. L’intérêt général (notion fondamentalement libérale et utilitariste au sens de Jeremy Bentham) n’est, somme toute, rien de moins que l’accumulation des intérêts de chacun et a remplacé l’idéal du bien commun (res publica). La confusion entre intérêt général et bien commun, très courante aujourd'hui, est une grave erreur : il s’agit de notions conceptuellement très différentes et même diamétralement opposées. L'intérêt général part du principe que la poursuite de l’intérêt propre de chacun profite aux autres (position très libérale qui n’est pas sans rappeler son versant économique : celui de la « main invisible » d’Adam Smith, cf. La Richesse des nations). Au contraire, dans le bien commun, on s’inscrit dans une configuration où le tout est supérieur à la somme des parties, là où l’intérêt général a pour objectif d’essayer de faire converger des intérêts individuels, souvent contradictoires, pour garantir la paix sociale. Cette préférence moderne pour l’intérêt général sur le bien commun est aussi à mettre en parallèle avec la promotion du collectif (individualiste et égalitaire) plutôt que du commun (holiste et qui induit un rapport à la hiérarchie).



À l’origine de la faillite de l’esprit communautaire et de l’avénement de la « société »


Les présupposés et les postulats philosophiques




Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément croire, la genèse intellectuelle de l’individualisme est assez ancienne, puisque l’on peut établir une filiation de tous les courants libéraux et individualistes avec la philosophie de Guillaume d’Occam et le courant nominaliste au coeur de la scolastique médiévale. Au Moyen Âge central, puis tardif, l’apparition des universités occasionne un bouillonnement intellectuel, en particulier philosophique, sans précédent où deux conceptions de l’homme et du monde, formulés dans le « problème des universaux » (existe-t-il une propriété des choses ?), s’affrontent : celle du courant nominaliste et celle du courant réaliste. Pour le nominalisme, il n’existe pas d’essence des choses à proprement parler. Un homme ne peut se définir qu’à partir de lui-même et chaque chose est singulière. Pour le réalisme, au contraire, qui s’inspire de la philosophie de saint Thomas d’Aquin, chaque entité peut être renvoyée à une réalité indépendante de notre esprit et de notre perception. Il y a des individus, mais chaque individu est précédé par une essence et une nature les reliant tous entre eux.


L’individualisme émanant de la pensée de Guillaume d’Occam (théologien et philosophe anglais du XIVe siècle), qui est un rejet de l’essentialisme, a des retombées très concrètes sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Philosophiquement, puisqu’il n’y a que des êtres singuliers, politiquement, il n’y a donc que des individus. Il n’existe pas de « corps » social, mais une congregatio d’individus distincts, dont procède l’autorité qui s’exerce sur les hommes. Le pouvoir et la société ne dépendent donc que du bon vouloir des hommes. Ni le premier, ni la seconde n’étant éternels, il sont forcément contingents et institués par la seule volonté des hommes. Cette désacralisation totale du pouvoir et de la vie en société fait déjà apparaître, en germes, la notion de « pacte social » qui fleurira au XVIIIe siècle, sous la plume d’un Rousseau ou d’un Kant. La « société » s’étant auto-instituée par la seule volonté des hommes considérés comme fondamentalement indépendants les uns des autres, le lien social n’apparaît pas comme « naturel ». Cette philosophie politique nominaliste s’affranchit radicalement de la vision des Anciens sur le corps social, et en particulier aristotélicienne, pour laquelle l’homme est un animal politique (zoon politkon), c’est-à-dire un animal social.


Plus tard, Hobbes, Locke et Rousseau reprendront également à leur compte les conclusions du nominalisme puisque, dans leurs pensées politiques respectives, le lien social fait désormais l’objet d’un contrat. Ce contractualisme, dont les origines philosophiques remontent au moins au Moyen Âge avec des penseurs comme Scot, part du principe qu’il y a un « état de nature », préexistant à la société, dans lequel l’homme serait dans un état primitif (soit bon, soit mauvais). La contractualisation du lien social apparaît déjà comme le signe de sa fragilisation et de sa remise en question future, en particulier chez Hobbes et Locke (l’individualisme de Rousseau étant plus ambigu).


Hobbes est le premier, dans l’histoire de la philosophie politique occidentale, à formuler l’idée de contrat social. Selon lui, l’homme est fondamentalement mauvais et rechercherait, en premier lieu, sa sécurité. C’est donc chaque homme qui choisit délibérément d’échanger sa liberté pour plus de sécurité. Le pouvoir s’institue grâce aux hommes : il n’a pas une origine extérieure au jeu social, mais vient de l’intérieur. Hobbes récuse donc la vision holiste de la société, comme un tout harmonieux.


Locke, en bon Anglais libéral, reprend les théories de Hobbes. Il affirme que la société est le fruit de délibérations humaines, mais à l’inverse de Hobbes, les hommes établissent un contrat non pas pour se déposséder de leur liberté, mais au contraire pour la sauvegarder. Cette philosophie fait émerger une conception utilitariste extrême de la vie en société. Chez Locke, le lien social procède de la volonté et de la décision de l’individu, et ne s’établit que parce que les hommes y trouvent un intérêt. Si les hommes n’avaient donc pas d’intérêt à être ensemble, il n’y aurait pas de lien social.


Hayek (1899-1992), économiste et philosophe austro-britannique du XXe siècle radicalise la notion de contractualisme et parle de la société comme un « ordre spontané ». Pour lui, la société échappe à toute tentative d’explication par la raison, et elle n’est pas le fruit d’un grand dessein politique, mais celle des actions des hommes pris isolément. Le lien social n’est plus considéré comme quelque chose de « naturel », la société devient accidentelle et ne tient plus que par le Rule of Law (règne du droit). La juridicisation du lien social et des relations humaines est d’ailleurs symptomatique de notre époque (cf. droits de l’homme).


Les faits historiques




L’apparition des premières formes d’individualisme philosophique à la fin du Moyen Âge est concomitant avec l’avènement du modèle de l’État-nation centralisateur qui s’impose progressivement en Europe occidentale, prenant le relais du modèle féodal sur le déclin depuis les débuts de la Guerre de Cent Ans. On observe, en effet, un véritable phénomène de massification sociale à la fin de la période médiévale, marquant un fort contraste avec le Haut Moyen Âge et la mosaïque de nations autonomes qu’était, par exemple, le monde franc (Burgondes, Aquitains, Gallo-Romains, etc.).


À la fin du Moyen Âge, on observe également une autonomisation progressive de l’économie par rapport au politique, totalement contraire à la vision des Anciens où l’administration des choses s’envisageait en harmonie avec l’administration des hommes. Cet élément constitue l’un des premiers facteurs de désintégration du lien social. En effet, selon Louis Dumont (Homo aequalis : genèse et épanouissement de l’idéologie économique), la chute du modèle féodal provoquée, entre autres, par la Guerre de Cent Ans, débouche sur une émancipation des richesses par rapport au politique. Autrefois, les richesses produites à l’intérieur d’un comté, d’un duché ou d’un royaume étaient étroitement contrôlées par le pouvoir politique (seigneur, comte, roi, etc.). Avec l’avènement du capitalisme bourgeois, les richesses sont accaparées par le privé, ce qui instaure, dès lors, la primauté de la relation entre les hommes et les choses, plutôt que des hommes aux hommes.


La montée du modèle de famille nucléaire égalitaire au début du XIXe siècle d'inspiration napoléonienne, et qui se répand dans toute l’Europe est également crucial pour le sujet que nous traitons. Opposée à la conception plus complexe de la famille souche (qui inclut les membres de la famille élargie : tantes, cousins, grands-parents, etc., et qui est caractérisée par l’autorité marquée des parents, et en particulier du père), elle est valorisée par la Révolution française et centrée sur le couple et ses enfants.


Le modèle de famille nucléaire n’est certes pas une nouveauté. Il existe depuis la Rome antique et on le trouvait de façon éparse au Moyen Âge, en particulier dans les villes. Mais sa généralisation est, quant à elle, extrêmement récente, en particulier à l’échelle européenne, puisqu’elle ne date que de deux siècles, ce qui est fort peu compte tenu de l’ampleur de l’histoire humaine. Prendre conscience du fait que toutes les familles européennes n’étaient pas structurées de manière nucléaire il y a encore deux-cents ans, nous permet de relativiser notre modèle familial qui semble couler de source.


La famille nucléaire égalitaire apparaît ainsi comme une pâle version du modèle familial ancestral. Elle a pour corollaire la non-cohabitation de plus de deux générations au sein d’un même foyer. L’éparpillement des enfants, une fois qu’ils sont en âge de travailler et de subvenir à leurs besoins, a déclenché une croissance exponentielle de foyers comptant des célibataires depuis les années 1970. Dans ces types de « foyers », l’habitat a été réduit à sa simple fonction vitale et n’est guère plus que le toit sous lequel on dort — et bien moins le lieu privilégié de la transmission. L’avènement de la famille nucléaire égalitaire marque donc les débuts du processus d’atomisation de la cellule pré-politique familiale dont nous constatons les effets désastreux aujourd’hui.


En guise de conclusion…




Dans le labyrinthe post-moderne où la société occidentale contemporaine a élu domicile, osons renouer avec un esprit communautaire authentique et enraciné en faisant lien et en cultivant nos différences contre « l’idéologie du Même » (Alain de Benoist) qui se manifeste à travers la mondialisation et l'égalitarisme, phénomènes qui nient nos spécificités et nos identités locales, culturelles, religieuses et même jusqu’à nos caractéristiques les plus intimes, comme notre identité sexuelle.


À rebours de la « société liquide » (Zygmunt Bauman) dans laquelle nous vivons, il est tout d’abord essentiel de reprendre conscience de nos identités (culturelle, religieuse et sexuelle) qui sont au fondement de notre liberté. C’est en reprenant conscience de ces identités qui nous structurent en tant que personne que nous pourrons de nouveau transmettre et faire lien, et donc retrouver la liberté de construire l’avenir que nous voulons. Il est urgent de nous émanciper de la conception individualiste et orgueilleuse de l’identité qui affirme que celle-ci se construit avant d’être reçue. En ayant, au contraire, l’humilité de nous laisser façonner par notre identité, nous pourrons, en l’assumant, être véritablement libres et la transmettre à notre tour à nos enfants pour perpétuer la longue chaîne de la Tradition, indispensable au maintien d’une communauté organique et véritable. L’enracinement, aussi bien dans l’espace (avec notre culture, notre terre), que dans le temps (avec les nôtres) nous rendra libres, car « indisponibles » pour le nomadisme fluctuant de notre système mondialisé.


Mais il ne suffit pas de reprendre conscience de nos identités. Il faut aussi les habiter, les vivre. C’est ici que la prise de conscience se traduit en action. La première des urgences consiste en nous reconnecter à notre terre. Cette revalorisation de l’élément « terre » dans nos vies passe ainsi très concrètement et très humblement par la connaissance de notre terroir, de nos régions, de leur histoire, de leur culture, de leur identité : parler nos langues régionales, connaître l’histoire de sa famille (pourquoi ne pas entamer des recherches généalogiques ?), de sa communauté (religieuse, ethnique, etc.), de sa ville, de sa région, et se l’approprier pour pouvoir la transmettre à ses enfants, acheter local, se reconnecter au rythme des saisons en arpentant son territoire (forêts, etc.). Ce mode de vie doit être le nôtre, car l’enracinement en son sens plénier (Simone Weil) participe au lien social. La reconnexion avec les autres passe en effet par la reconnexion avec la terre : en étant sédentaire — et non apatride —, nous retrouverons le Fil d’Ariane avec le monde qui nous entoure (au sens large), et donc aussi bien avec la nature qu’avec les hommes qui l’habitent. L’environnement étant un tout, le catholique patriote ayant à coeur de s’enraciner dans sa communauté a pour devoir de faire communion avec l’intégralité des éléments qui la composent (gastronomique, artistique, artisanal, linguistique, architectural, ethnique, coutumier), qui ne sont pas disparates et apparus par hasard ou par « construction sociale », mais qui sont nécessaires à la perpétuation d’une identité, du lien social et de nos libertés.


Contre les mensonges de notre société sans Foi ni loi, sans père ni patrie, sans sexe et sans race, souvenons-nous toujours de ces paroles du Christ : « la Vérité vous rendra libres » (Jn, 8, 32).

Sara Bernier



1 commentaire

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1 Comment


leonard.b.vesval
May 17, 2020

Article brillant ! Merci beaucoup pour cette mise en perspective historique et philosophique de l'individualisme. Ce travail est une mine d'or, et permet de fournir nos arguments.

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