Dans notre modernité dégénérée, tout est gros : les droits de succession, le nombre d’immigrés, l’ego d’Emmanuel Macron, les marchés financiers… Nous crevons du gigantisme. Le mode de gestion des retraites subit la même hypertrophie cancéreuse : que ce soit l’Etat ou des assurances privées, les deux fonctionnent de manière tellement opaque que nous autres simples mortels n’avons aucune visibilité et encore moins de pouvoir sur ces géants cyclopéens, dont l’œil unique voit tout sous forme d’algorithmes comptables. Il y a une alternative : la solidarité exercée par le peuple lui-même, de façon non-lucrative et sans ingérence extérieure, par le biais de mutuelles communautaires autonomes. En France, les sociétés de secours mutuel ont été interdites par la loi Le Chapelier en 1791. Autorisées progressivement à partir du Premier Empire, leur développement a été freiné par le grand patronat qui maintenait des salaires bas, empêchant l’épargne donc privant les mutuelles de fonds propres. L’Etat, craignant que les mutuelles puissent financer des grèves, les approuva sous Napoléon III tout en limitant le nombre de leurs adhérents à 500 et restreignant leur action au secours maladie, les rendant foncièrement inaptes. Une première ébauche d’Etat-Providence est mise en place avec la création de la Caisse nationale des retraites, mais les cotisants n’avaient aucun droit de regard sur leur épargne.
« La droite, la vraie (catholique sociale, maurrassienne, phalangiste ou solidariste), est dans le camp de la justice sociale. »
Dans une vision alternative, une partie de la rémunération brute serait allouée à des « communautés de métier », version modernisée des corporations médiévales, qui assureraient elles-mêmes la solidarité, la formation professionnelle et le crédit pour ses membres. Ainsi, le peuple satisferait lui-même ses propres besoins. A l’instar des coiffeurs sous Vichy, dont la charte prévoyait que les apprentis ou employés désireux de se mettre à leur compte trouvent auprès de la banque de la corporation les fonds suffisants. Ce régime coupait l’herbe sous les pied des usuriers, purgeant la communauté du travail de leur parasitage. Le principe mutualiste est juste sur le fond, souple dans la forme et efficace dans la pratique. Bien sûr, cela suppose de quitter la cage dorée du salariat pour que, écrivait Jean-Paul II dans Le Travail humain, « chacun, dans le processus même du travail, puisse apparaître comme co-responsable et co-artisan au poste qu’il occupe. » En effet, « chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer comme copropriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s’engage avec tous. » Toute entreprise étant une création de valeur collective, il faut « socialiser les moyens de production » : partager le capital entre ceux qui le nourrissent par leur sueur quotidienne. Cette troisième voie diffère de l’autogestion anarchiste (« à bas le patron ! L’usine est à nous ! ») car elle reconnait l’idée hiérarchique mais la tempère par l’esprit de communauté en appliquant le principe de la famille au monde du travail. La droite, la vraie (catholique sociale, maurrassienne, phalangiste ou solidariste), est dans le camp de la justice sociale.
Article paru dans le quotidien Présent, le 19 décembre 2019.