Le « père Noël » a été inventé par des publicitaires au service de Coca-Cola et débarque en France dans les bagages du Plan Marshall, au sortir de la grande guerre civile européenne. Il envahit rapidement les galeries marchandes et le vrai sens de Noël est mis en péril au profit du dieu Consommation. Mais le 23 décembre 1951, selon France Soir, « le père Noël a été pendu aux grilles de la cathédrale de Dijon et brûlé publiquement sur le parvis (…) avec l’accord du clergé ». L’action est revendiquée : « Représentant tous les foyers chrétiens de la paroisse, 250 enfants ont brûlé le Père Noël. Il ne s’agissait pas d’une attraction, mais d’un geste symbolique. (…) le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. » A l’époque, dans un contexte déjà difficile pour les crèches (bannies des écoles publiques), le porte-parole des évêques français soutient les auteurs de l’autodafé. Aujourd’hui, le pape demande pardon aux idolâtres parce qu’un jeune Italien a retiré des statuettes païennes d’une église pour les jeter dans le Tibre. Le déclin du courage et le pourrissement de l’intelligence au sein de l’Eglise est effrayant. Saint Léon, qui êtes allé au-devant des Huns, aux portes de Rome, pour les arrêter par la seule parole, priez pour nous.
« Un Noël pieux et pauvre ne suffit pas à vivre chrétiennement. Trop de catholiques ont un christianisme désincarné. Ils dédaignent ou ignorent les traditions culturelles propres à l'Avent. »
Mais un Noël pieux et pauvre ne suffit pas à vivre chrétiennement. Trop de catholiques, quelle que soit leur sensibilité, ont un christianisme désincarné. Ils dédaignent ou ignorent les traditions culturelles propres à l’Avent : culinaires, décoratives, musicales… Leur christianisme est une foi qui se veut pure mais qui manque de consistance, de chair : leur spiritualité noie l’absence de racines dans l’oraison scrupuleuse. Leur christianisme n’est plus une religion (du latin religere : « relier ») mais une fuite hors du monde. C’est un christianisme bourgeois et convenable où rien ne dépasse, surtout pas baroque et coloré, purgé de la folie ravissante des ravi provençaux, figure populaire de l’attardé du village rendue célèbre par le santon éponyme. Si nous refusons la sous-culture mondialisée, ce n’est pas pour sombrer dans la tabula rasa puritaine qui enchaîne les rubriques d’un Avent bien cloisonné : papillotes au chocolat Carrefour, messe de minuit en pantalon rose et cadeaux empaquetés dans leur emballage Amazon. Ceci est un Noël de cuck : de cocu du monde moderne. Le vrai Noël est précédé d’un Avent composé d’une farandole de rituels familiaux et communautaires qui jalonnent la montée vers la Nativité. En Provence, le blé de la sainte Barbe pousse dans trois coupelles blanches tandis qu’on fait la crèche, car Jésus est né en Provence, à l’ombre des tamaris, et que le gros souper, repas pauvre couronné par les 13 desserts, dont la pompe, brioche à l’huile d’olive qui se rompt à la main seulement, rassemble la famille autour du foyer. « Et en attendant la messe de minuit, nous conte Mistral, autour du feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions. » Dans les pays hispaniques fidèlement catholiques, on offre les cadeaux lors de l’Epiphanie, en cohérence avec la liturgie des Rois mages, et en Alsace, le 6 décembre, jour de la saint Nicolas.
Nous ne serons jamais le sel de la terre si notre christianisme se montre incapable de choquer le monde.
Article paru dans le quotidien Présent, le 12 décembre 2019.