Massimo Maraviglia est diplômé en Philosophie, professeur de Philosophie et Histoire dans des lycées de Milan. Ses intérêts tournent autour de thématiques religieuses (pendant diverses années, il a aussi été professeur de Religion Catholique) éthiques et politiques, regardant la pensée catholique, contre-révolutionnaire et les racines idéologiques du fascisme. Il s’est aussi occupé de conseil et pratiques philosophiques appliquées dans le domaine sanitaire. Il répond aujourd'hui à nos questions sur le thème du populisme.
Au delà du « phénomène populiste » (l'existence de plusieurs chefs d'Etat, de la Hongrie au Brésil, prétendant défendre les intérêts du peuple face à une élite mondialisée), que vous inspire le mot « populisme » ?
Populisme fait référence à un rapport disharmonique entre peuple et élite et à la volonté de dépasser cette condition perçue comme injuste et oppressive. Dans ce sens le populisme exalte le peuple contre les élites, exigeant de faire entendre sa voix dans les rues, dans les institutions et dans les lieux où on prend les décisions pour donner substance à la démocratie qui dans sa version formelle et libérale tend à trahir en manière de plus en plus évidente le principe de «souveraineté populaire ». Le terme est toutefois dense d’ambiguïté, dans son usage polémique comme dans la structurelle indétermination du concept de peuple. D’un coté en effet « populisme » pourrait être défini comme « tout ce que la gauche caviar n’aime pas » et que cette faction politique étiquette comme insupportable, incivile, rétrograde, réactionnaire, fasciste, etc. Dans cette optique « populiste » pourrait être le militant catholique anti-avortement, le petit entrepreneur qui proteste contre l’excessive taxation, le doctrinaire anticonformiste du type Molnar ou De Benoist, le politique conservateur, le politique progressiste qui n’est pas d’accord sur les droits civils et veut privilégier les droits sociaux, le prêtre, le père de famille qui veut éduquer ses enfants en manière traditionnelle, etc. Les fantaisies paranoïaques des gauches pourraient nous laisser assez indifférents si on pouvait arriver à une détermination de ce qu’est le « peuple », offrant à la notion de populisme une définition positive plus précise et politiquement utilisable. Si en effet le populisme n’assume pas une identité autonome par rapport aux étiquettes de ses ennemis, il finit par représenter une marionnette à abattre, substantiellement fonctionnelle à la vis polemica et à la soif de pouvoir des défenseurs du statu quo. Alors dans ce domaine il faut aller au-delà, à la recherche d’une signification éloquente de la parole « peuple » et de la détermination de sa fonction politico-culturelle.
D'injure lancée par la gauche, il est devenu un étendard comme lorsque M. Salvini évoque la nécessité d'une « internationale populiste ». Pensez-vous que ce terme, « populisme », soit récupérable par la droite radicale et catholique et utilisable politiquement ?
En me référant à ma réponse précédente il est nécessaire selon moi de procéder à un encadrement théorique plus profond de la question. Un très grand intellectuel catholique qui est aussi un considérable maître à penser de la droite politique, Carl Schmitt dans son texte intitulé La dictature a traité d’une question fondamentale pour comprendre les déclinaisons modernes du pouvoir. En se référant à Emmanuel Joseph Sieyès il a magistralement relevé la fonction du peuple: il est le pouvoir constituant a qui ont peut s’appeler chaque fois que le pouvoir constitué résulte être inefficace, injuste, incapable de produire cet ordre politique sans lequel les communautés des hommes sont traversées par un conflit potentiellement destructeur. Mais qu’est-ce que c’est en fait un pouvoir constituant ? On « ne le comprend pas en dehors d’une recherche du principe organisateur non organisable » de toute la vie associée. Le rapport entre pouvoir constituant et pouvoir constitué a sa parfaite analogie systématique et méthodologique dans le rapport entre natura naturans et natura naturata, et j’ajouterais dans le rapport entre l’Un et ses hypostases, entre la potentia absoluta Dei et le monde, entre la Volonté et son objectivation, entre Pensée et ce qui est pensé, entre l’Être et l’étant. Dans un tel rapport, le peuple, la nation, la force d’origine de chaque corps étatique constitue des organes toujours nouveaux. De l’abysse infini et insondable de son pouvoir surgissent des formes toujours nouvelles qu’elle peut briser quand elle le veut et dans lesquelles elle ne cristallise jamais définitivement son propre pouvoir. Elle peut exprimer quand et comme elle le veut sa propre volonté dont le contenu a toujours la même valeur juridique du contenu d’une règle constitutionnelle ; elle peut donc intervenir quand et comme elle le veut avec la législation, la juridiction ou actes purement factuels. Il devient le sujet illimité et illimitable des iura dominationis, pas nécessairement à circonscrire au cas d’émergence.
Il n’est jamais auto-constituant mais toujours constituant d’autre que soi (en cela sa puissance a un caractère rationnel et n’apparaît pas complètement informe: Dieu peut tout mais ne peut pas se multiplier, NDLR); son rapport juridique avec l’organe constitué ne se met jamais en termes de réciprocité. La nation est toujours dans l’état de nature, comme dit le célèbre maxime de Sieyès…et telle affirmation nous parle du rapport de la nation avec ses propres formes constitutionnelles et avec tous les fonctionnaires qui agissent en son nom. La nation est unilatéralement dans l’état de nature, a seulement des droits et pas de devoirs; le pouvoir constituant n’est lié a rien, tandis que les pouvoirs constitués ont seulement des devoirs et pas de droits. D’où la surprenante conclusion qu’une partie reste toujours à l’état de nature, tandis que l’autre dans l’état de droit (ou mieux de devoir) (cf. Carl Schmitt, La dictature. Des origines de l’idée moderne de souveraineté à la lutte de classe prolétaire, tr, it de A. Caracciolo, Settimo Sigillo, Roma 2006, pp. 179-180).
Cet approfondissement schmittien a trois mérites : in primis il nous reconduit à la façon d’être du peuple avec une stratégie apophatique (c’est-à-dire à travers une définition par la négation: la peuple est ceux que on ne peut pas constituer, il constitue toujours l’autre de soi, c’est-à-dire la source non objectivable et non constituable de légitimation de chaque constitution; il est muet mais représente la source de chaque langage politique; il est inerte mais il est l’origine de chaque action…) qui évite les erreurs projectives de qui confond la subjectivité individuelle avec celle collective (en admettant que celle-ci puisse exister), c’est-à-dire de tous ceux qui parlent du peuple simplement en amplifiant les propriétés de l’individu et en faisant une hypostase à lui; en deuxième lieux il saisit un aspect fondamental de la modernité, c’est-à-dire la démocratie comme avènement capital de l’histoire mondiale, puisque la doctrine du peuple comme pouvoir constituant représente la plus grande valorisation juridique-politique du demos ; enfin tel argument possède des implications profondément antimodernes puisque il fait référence a une force de source du politique qui, comme j’ai fait allusion, est interprété de façon sincèrement théologique-politique: le peuple n’est autre que la sécularisation politique du concept de Dieu. L’appel au pouvoir constituent du peuple, comme source de légitimation théologique-politique de chaque constitution, tandis qu’il avait une fonction révolutionnaire dans la polémique bourgeoise contre la monarchie de droit divin (seulement Dieu peut être mis contre Dieu), acquiert une valeur contre-révolutionnaire par rapport aux formes plus extrêmes de libéralisme technocratique. Comme dans la tradition de l’Europa sive Christianitas on pouvait recourir à Dieu contre le pouvoir constitué quand il tendait ad avoir une veste tyrannique, de la même façon le peuple dans la modernité laïque devient objet d’un appel ultimatum quand le pouvoir moderne se fait à son tour tyrannique. Mais l’appel au peuple, et Sieyès ne s’en aperçoit pas, est tout autre que laïc : comme le met en évidence une part considérable de la réflexion politico-philosophique médiévale (voir à titre d’exemple sa réception dans F. Suarez dans ses Tractatus de legibus et Defensio Dei), l’auctoritas venit a Deo per populum. Loin d’être confiné dans les étroites limites des mythes de ’89, le fait de se référer au peuple devient un moyen pour se référer à Dieu. L’appel de Dieu dans la sphère politique implique la conviction que chaque système politique en vigueur n’exauce jamais les possibilités de la cohabitation et de la recherche de justice. Par rapport a chaque système immanent Dieu est la transcendance. Le sens de son entrée en jeu per populum est alors tout à individualiser dans la recherche d’une transcendance par rapport à la dimension politique quand elle se présente comme pénétrante partout et oppressive. Contre l’Etat à une dimension, contre l’horizon totalitaire du grand apparat d’ochlocratie mondialiste, le populiste appelle donc le peuple à réaffirmer ses droits qui sont au même temps les droits de Dieu et de nous tous.
La notion d'« internationale populiste » vous semble-t-elle sensée ?
Je me méfie des « internationales », mais ce n’est pas pour cela que je considère inutile que le regard de qui fait de la politique activement dépasse les frontières étroites des nations, aussi et surtout quand il s’agit de réaffirmer le rôle, la justice et la nécessité des mêmes frontières. Romano Guardini disait que l’être est uni par ce même élément qui le divise (cf. La Polarité. Essai d'une philosophie du vivant concret). Il en va de même pour la politique. Tous les populistes sont unis pas ce qui les divisent, c’est-à-dire par la défense d’un monde multipolaire, différent, libre et dynamique, où il n’y ait pas de super Etats, super tribunaux e psycho policiers internationaux. Ils sont donc unis par leurs identités très différentes que chacun veut préserver et aux quelles chacun veut garantir un destin historique. L’assertion est que l’humanité n’existe pas si non dans les peuples: si on efface les peuples on aura quelque chose de différent de l’homme. Dans ce malheureux cas gagnerait le modèle antihumain de la marionnette globalisée, uniforme, mono culturelle. Ce serait vraiment la désespérante apparition du dernier homme, de l’homme vraiment à une dimension.
Que pensez-vous de l'oeuvre de M. Salvini ?
J’ai grande admiration pour notre Ministre de l’Intérieur qui dans des conditions d’encerclement médiatique et judiciaire accomplit son œuvre en défense de l’identité et des prérogatives de l’Italie et des italiens en manière décidée, convaincante et efficace. Je crois toutefois qu’il ait besoin de comprendre que son œuvre ne pourra pas s’accomplir sans que le soutien populaire ne se traduise dans une stable formation d’une mentalité diffuse. Cela signifie que le thème de l’hégémonie dans le domaine de la culture est inévitable. C’est pourquoi quand Salvini dit que aux les élections européennes la Lega enverra en Europe agriculteurs, entrepreneurs, ingénieurs et pas des philosophes il commet une erreur colossale. Je n’en fait évidemment pas une question corporative. Le problème est que le Ministre montre avec cette déclaration combien est faible sa considération pour la bataille des idées…Cela advient pendant que la possession monopolistique de la production de culture de la part de la gauche internationale et globaliste permet à cette même gauche de mettre en acte une série de stratégies déloyales qui, en profitant chaque fois en manière indue de l’occupation de positions de gouvernement promeut un déplacement de l’axe de la politique à gauche en disqualifiant toutes les possibles alternatives.
Donc chaque fois l’opposition de droite, indépendamment de comment on veuille la définir, se trouve contrainte à se modérer et à accueillir des préjugés, idéologies, et façons de penser de l’adversaire, devenus entre temps dominants. Cela devient le prix pour la respectabilité idéologique et donc pour la praticabilité en chaque secteur de la politique. De là naissent les faux conservateurs comme Berlusconi, Tajani et Alfano en Italie, Rajoy en Espagne, les gaullistes en France, Merkel en Allemagne : toutes personnes qui font des politiques de gauche grâce à un électorat qui n’est pas de gauche et à une affiche de parti « modéré ». Ces personnes révèlent leur vrai visage dès qu’apparait une contestation radicale à la Weltanschauung progressiste. En de telles occasions ils se trouvent invariablement positionnés en faveur de cette gauche qui les exploite comme idiots utiles contre les « populismes, les résurgences fascistes, réactionnaires, racistes, etc. », pour les rediriger avec une récompense d’un pouvoir ou d’un sous-pouvoir à ses étroites dépendances.
Maintenant pour balayer ces idiots et pour casser vraiment les œufs dans le panier au projet mondialiste il y besoin de culture et la culture doit être considérée un facteur politiquement central, si on ne veut pas tomber dans les défauts de superficialité et de stérilité que déjà dans les années 60 Thomas Molnar reprochait au soit disant camp contre-révolutionnaire (cf. Th. Molnar, La contrerévolution). Que Salvini ne se soit pas rendu compte de cela le démontrent non seulement ses déclarations électorales, mais aussi la personnalité qu’il a choisie pour la très importante fonction de Ministre de l’Instruction, absolument pas à la hauteur de cette fonction. Les premiers actes de ce Ministre démontrent une grossièreté, un manque de projet, une faiblesse de conscience culturelle et donc un abandon aux dogmes de la pensée dominante absolument préoccupante. Le cas du Ministre Bussetti démontre que sans culture il n’y a pas de compréhension da la réalité et cela rend impossible gouverner efficacement, en imprimant une certaine direction à la société et évitant de rester une sympathique et appréciable queue de poisson dans un imminent et dévorant univers de saletés.
Comment voyez-vous l'avenir de votre pays et de l'Europe ?
La politique internationale du Gouvernement semble être orientée à défendre les raisons de l’Italie auprès de l’Union Européenne. Mais cela doit avoir le caractère d’un projet de grande envergure. Il faut revoir les relations internationales dans notre Continent et définir le sens du slogan concernant « l’Europe des peuples ». Cela semble une suggestion intéressante et tout à fait acceptable, mais ne pas lui donner une connotation économique, juridique, politique et constitutionnelle, équivaut à rester dans le concept de bâtir des châteaux en Espagne… et pendant que nous nous contentons de bâtir des châteaux en Espagne, il y a quelqu’un qui sur la terre travaille pour le Roi de Prusse. Pour remédier à tout cela il faut revenir à ce qui a été énoncé précédemment : il faut la culture. Je ne dis pas d’abandonner à leur destin les ingénieurs, mais que commencer à écouter aussi quelques philosophes pourrait être une option souhaitable.
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Massimo Maraviglia est professeur de Philosophie et Histoire dans des lycées de Milan. Ses intérêts tournent autour de thématiques religieuses, éthiques et politiques liées à la pensée catholique, contre-révolutionnaire et aux racines idéologiques du fascisme. Il fut aussi chargé de conseil et pratiques philosophiques dans le domaine sanitaire.