Selon un rapport récent, on pourrait inverser le vieillissement : les cobayes d’une triple-médication auraient perdu 2,5 ans de leur âge biologique et leur système immunitaire se serait renforcé (Nature, 5/9/2019). Deux tendances apparemment opposées semblent à l’œuvre : le rêve utopique d’abolir nos limites physiologiques grâce au transhumanisme et la généralisation de l’euthanasie pour éliminer les bouches inutiles. En 1981 dans L’avenir de la vie, le chamelier fou Jacques Attali se proclamait « objectivement contre l’allongement de la vie [car] la logique socialiste c’est la liberté et la liberté fondamentale, c’est le suicide. » Les libéraux, depuis David Hume, en disent autant : « supposez que je sois devenu un fardeau, que ma vie empêche une autre personne d’être plus utile à la société. […] mon abandon de la vie devrait être non seulement innocent mais même louable » (Essai sur le suicide, 1777).
Pour les libéraux, le droit de propriété étant sacré et commençant par le corps humain, il faut abandonner le délit de non-assistance à personne en danger puisque cela revient à contraindre quelqu’un à être charitable (une « agression » selon Murray Rothbard). Et puis, « en droit, écrit Thierry Falissard du site Contrepoints, il ne peut exister d’agression envers soi-même, sans quoi il faudrait interdire le suicide ou le masochisme. » En 1793, les Montagnards criaient : « La liberté ou la mort ! » Leurs héritiers les ont dépassés : « La liberté, c’est la mort ! »
« La modernité, en prônant simultanément l’euthanasie et la vie éternelle, est donc parfaitement cohérente. »
La modernité, en prônant simultanément l’euthanasie et la vie éternelle, est donc parfaitement cohérente. Dénoncer la « culture de mort » et le sacrifice des plus faibles est tout à fait louable mais insuffisant : l’enjeu fondamental, c’est la question de la liberté, et donc de l’individu. Le débat n’oppose pas tant les défenseurs de la vie à ceux de la mort, mais les idolâtres de la liberté individuelle, apôtres narcissiques du Moi je, qui veulent jouir et spéculer sans entraves jusque sur les futures colonies humaines de la planète Mars, aux défenseurs du bon sens populaire, qui jugent instinctivement qu’une philosophie de droits illimités rendrait impossible la vie en commun et ferait imploser la société. Lorsque le pape, en 2017, affirme au sujet des clandestins que « le principe de la centralité de la personne humaine (…) nous oblige à faire passer la sécurité personnel avant la sécurité nationale », il verse dans un délire misérabiliste cachant quelque chose de plus grave : un individualisme corrosif pouvant justifier le droit au suicide puisque ce n’est plus le Bien commun - comme l’enseigne pourtant la Doctrine sociale de l’Eglise - mais l’individu, qui doit être placé au « centre » de la réflexion politique.
Ce n’est pas avec de tels arguments que les catholiques gagneront la bataille mais en remontant aux racines du mal : le libéralisme et son culte de la liberté sans limites, qui amène fatalement la destruction des conditions nécessaires à une vie bonne et saine (au contact de la nature, du silence et de la beauté) au profit de la satisfaction de désirs superficiels suscités par le crédit et la publicité. Soit le sacrifice des libertés concrètes authentiques sur l’autel du caprice universel. Ce monde sans âme, Alexandre Soljenitsyne l’a rejeté dans le goulag et en a vu le prolongement dans la modernité capitaliste.
Alors, puisque nous battrons bientôt le pavé contre la PMA/GPA, un peu de cohérence et luttons aussi contre le travail dominical (qui tue la vie de famille), l’agro-industrie pesticidaire (qui tue la vie… tout court) et la société de consommation (qui tue les âmes).
Article paru dans le quotidien Présent, 21 septembre 2019.