Chaque année le mois de septembre est le témoin d’un curieux rituel sans cesse répété. D’une part, il se voit obliger d’assister le temps les vacances dans ses derniers jours ; d’autre part il regarde s’avancer de conserve le cortège de la rentrée. Pour le temps des vacances, c’est une mort sans gloire, pour un défunt pourtant aimé mais qu’on aura bientôt oublié, lui qui s’éteint dans l’indifférence, sans même que le glas puisse lui rendre hommage. Quant à la rentrée, cette remplaçante déplaisante sous bien des aspects, elle jouit d’une toute autre notoriété. Chacun s’y associe, participe de son défilé et toutes les cloches des écoles s’en font les annonciatrices. Et ce rituel, nous en sommes tous les acteurs, nous qui voyons chaque année nos vacances se terminer et nos activités reprendre pour recommencer l’année suivante.
Si nous ne voulons pas tomber dans la spirale dévastatrice de l’éternel recommencement, il nous faut trouver un sens ou une finalité à cette répétition. Alors que nos contemporains sont leurrés par le plus sordide des matérialismes qui les fait se reposer pour mieux produire et mieux consommer, notre finalité ne peut reposer sur les biens de ce monde. Ces bien sont, par nature, impropres à procurer le bonheur à l’homme. Or l’être humain vit pour le bonheur. Il ne peut donc répéter sans cesse les mêmes actions, années après années, sans qu’il y ait un sens. Il nous faut alors cesser de considérer le temps comme une fin, mais le voir comme un moyen. Le temps apparaît dès lors comme l’instrument adéquat voulu par Dieu pour nous permettre d’accéder à un bonheur plus parfait. C’est de l’usage du temps que dépendre notre béatitude.
Et s’il est vrai que les années se succèdent parfois comme une rengaine monotone, cela n’a pas pour but d’user l’homme dans une réitération lassante, c’est au contraire pour lui permettre de juger de son avancée et de l’utilisation de son temps. Le don du temps que Dieu fait à l’homme ressemble par analogie à celui de la liberté. L’homme reçoit le temps comme il reçoit la liberté. Ils ne les reçoit pas en maître absolu comme des puissances acquises. L’homme ne naît pas plus en étant totalement libre qu’il ne naît totalement maître de son temps. De même qu’il doit acquérir la liberté, il doit acquérir la maîtrise de son temps pour en bien user. L’homme acquière la liberté en se libérant de l’esclavage du péché. Il acquière le maîtrise de son temps en l’ordonnant année après année. Chaque nouvelle année est une chance de pouvoir recommencer mieux ce que nous n’avons pas sur faire l’année précédente.
Parlant de l’Histoire, Alexis de Tocqueville disait qu’elle était comme « une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies ». Ce que le philosophe dit de l’Histoire, nous pouvons l’appliquer à nos années qui se succèdent souvent dans une désolante récurrence. Les ans passent et nous voyons les mêmes personnes et accomplissons les mêmes actions qui semblent se reproduire à l’identique. Est-ce que cela signifie pour autant que nous n’avons pas progressé? Certes non, cela signifie juste que le cadre de notre sanctification n’évolue pas. Nous devrons continuer à nous sanctifier au milieu des mêmes gens et des mêmes activités. Le progrès n’est donc pas de cet ordre. Pour le comprendre, il faut laisser laisser Tocqueville de côté et lui préférer Gilbert Cesbron, lui qui disait que « l’Histoire n’est un perpétuel recommencement que pour les myopes et les presbytes : pour ceux qui la regardent de trop haut ou qui n’en voient que des détails ». Vu de loin, notre année paraitra sans doute identique à la précédente, sans changement ni progrès. Si, à l’inverse, l’être humain scrute sa vie de trop prêt, il ne verra alors que le péché toujours présent et toujours répété. Les années passent mais les habitudes mauvaises sont toujours là et le péché toujours actualisé.
Pour comprendre le progrès dans la vie chrétienne, il nous faut sans cesse nous rappeler que l’action de la grâce dans nos âmes est, par nature, invisible. Ainsi le progrès du chrétien est plus d’ordre qualitatif que quantitatif. Parfois la grâce permettra des effets extérieurs mais la plupart du temps, l’amélioration ne sera pas perceptible. Ce sont bien les mêmes habitudes et les mêmes êtres humains qui fourniront le cadre de la sanctification mais cela ne signifie en rien que nous ne seront pas meilleurs. Il nous faut juste travailler à correspondre de plus en plus à la grâce qui nous est donné et que nous conservons dans des vases d’argiles. Lorsque des gens inquiets pour l’avenir de l’Occident posaient la question à Dom Gérard de savoir ce qu’il convenait de faire, il répondait : « on continue ». C’est peut être ce que Saint Exupéry résumait si bien dans Terre des hommes, « Ce qui sauve, c'est de faire un pas. Encore un pas. C'est toujours le même pas que l'on recommence… ».