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Ambroise Savatier

ZAD de Notre Dame des Landes, vers un no pasarán de droite ?


Notre Dame des Landes
Le projet de construction d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes a tout l’air d’être enterré. Toutefois le Gouvernement maintient sa volonté de faire évacuer la ZAD. Celle-ci réunie plus de 200 squatteurs permanents organisés en communauté quasi autonome sur 1 600 hectares d’espace protégé. Outre la lutte contre le projet d’aéroport, la ZAD est également un lieu d’expérimentation de modes de vie alternatifs : autogestion, décroissance, permaculture, artisanat, etc.

Cette ZAD bénéficie d’une sympathie toute naturelle de la part d’une certaine gauche politique, notamment des élus EELV et Insoumis qui voient en elle un avant-poste du combat pour l’écologie ; et surtout de la part de la gauche culturelle qui la prend pour un ersatz d’utopie libertaire. Tout à l’opposé, la droite institutionnelle n’aime rien tant que détester la ZAD. Hostile par essence à l’anarchie, cette « zone de non droit » symbolise pour elle le cuisant échec de la force publique. En effet, l’Etat ne semble plus capable ni de mener à bien le bétonnage par Vinci de 1 400 hectares d’espaces protégés, ni d’infliger quelques bons coups de matraques aux zadistes afin de pouvoir les déloger. Aux yeux de cette droite, ceux-ci ne constituent d’ailleurs qu’un ramassis d’emmerdeurs parasites, d’altermondialistes en sarouel, de fumeurs de pétard, de No Borders et d’étudiants en fac de sociologie.

La droite et l’écologie

Pour autant il semble que certains clivages hérités du XXe siècle – légalistes VS anarchistes ; écologistes VS conservateurs – soient en train d’exploser. Pour rappel, si l’écologie politique a fait l’objet d’un hold-up de la gauche la plus sectaire au début des années 90, elle n’en provient pas moins originellement de la droite. Dès le XIXe siècle toute une littérature réactionnaire, de Bonald à Bernanos en passant par Péguy et Barrès, exalte la beauté romantique des campagnes et des clochers, les vertus de la paysannerie et le raffinement de l’artisanat. Ces auteurs nostalgiques de l’ordre préindustriel affichent un scepticisme radical à l’égard de la technique et de l’idéologie du progrès, facteurs de décadence spirituelle et morale pour le peuple. Ecologique, cette pensée l’était, résolument ! A l’inverse, c’est la bourgeoisie capitaliste, éprise d’idées nouvelles et de scientisme, qui soutiendra l’industrialisation, et la mise en coupe réglée de la France et de ses petites gens par l’usine, la ville et le centralisme jacobin.

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La droite est plus que jamais divisée sur la question du libéralisme. Ce dernier, né à gauche, ayant glissé vers l’autre bord au cours du XXe siècle (durant l’affrontement Est-Ouest), retrouve aujourd’hui son camp d’origine dans la grande coalition libérale-libertaire. Aussi, le fossé se creuse entre une droite poussiéreuse à la Fillon-Juppé, orléaniste, croissanciste et Macron-compatible, qui s’est laissée coloniser par les idées de gauche ; et une droite d’avant-garde désintoxiquée du libéralisme[1], jeune, lettrée, conservatrice et radicale ; et qui par souci de cohérence, reprend pied sur le terrain de l’écologie. Déjà, dans les années 80, les théoriciens de la Nouvelle Droite, précurseurs en la matière, envisagent une « deep ecology » doctrinale (à forte tendance panthéiste) contre la vision marchande et utilitariste des sociétés occidentales.

Prolongeant cette intuition, certaines franges de la droite mènent aujourd’hui un combat culturel décisif. Tugdual Derville, porte-parole de La Manif pour Tous fait la promotion d’un mouvement pour « l’écologie humaine », qui s’attache à replacer la dignité de chaque personne au centre des décisions politique contre l’emprise croissante de la technique. Les jeunes de la revue Limites développent un corpus d’idées autour du concept « d’écologie intégrale » dont l’objectif est la protection systémique de l’environnement mais aussi de l’homme, dans toutes ses dimensions économiques, sociales et culturelles. L’organisation patriote Dextra, qui se donne pour mission d’actualiser la pensée de la Révolution conservatrice allemande (1918-1932) d’inspiration antimoderne, alerte dans ses émissions de radios et conférences sur les dangers du transhumanime, les ravages l’industrie pharmaceutique, les dégâts l’artificialisation des sols, etc. Que vient faire la ZAD dans tout ce foisonnement intellectuel droitier ?

La ZAD comme miroir inversé du combat de la droite

On ne peut ignorer les points de communion idéologiques entre cette droite et les zadistes : le combat contre l’économisme et le productivisme, le rejet de l’aliénation et de l’uniformisation par la technique, le refus la culture de masse, la préservation des écosystèmes (environnementaux et/ou culturels), etc. En bref, la France contre les robots[2]. C’est une affinité toute bernanosienne qui réunit ces deux camps que tout oppose par ailleurs. En témoignent l’action de quelques électrons libres issus de la nouvelle génération, comme Mayeul Jamin[3] qui semble se trouver tout aussi à l’aise dans les cortèges de LMPT que dans les phalanstères de la ZAD, ou Gauthier Bès de Berc qui a tenté une vaine convergence des luttes entre Les Veilleurs et les zadistes. Lors d’une rencontre, ces derniers ont d’ailleurs refusé la main qui leur était tendue, avant d’asséner à leurs candides interlocuteurs quelques insultes et pains dans la tronche[4], gauchisme oblige. Il semble que l’union sacrée des « bio-conservateurs » contre les « techno-capitalistes » n’est pas à l’ordre du jour. La cause des zadistes n’en demeure pas moins légitime. Comme le fait remarquer Frédéric Rouvillois dans un Bistro libertés[5] à propos de Notre-Dame-des-Landes « si à la place des gauchistes il s’agissait de traditionnalistes, ils nous apparaîtraient tout de suite plus sympathiques ! ».

Sans ignorer ni les violences déjà commises par les zadistes comme la spoliation de biens, l’agression des riverains, ainsi que les débordements à venir[6], ni leurs contradictions philosophiques[7], il faut leur reconnaître un certain courage. Le choix de s’émanciper du matérialisme ambiant pour adopter un style de vie frugal, débrouillard et solidaire procède d’une radicalité exemplaire ; bien qu’il ne faille prendre cette radicalité pour argent comptant. Par certains côtés, on semble s’approcher du scoutisme, la foi et la discipline en moins, le pétard et la mixité en plus.

Foin de rousseauisme, nul ne s’imagine que revenus à la terre ces individus se sont affranchis des travers de la société contemporaine, au premier rang desquels l’individualisme ou la mesquinerie. Il faut également raison garder vis-à-vis de l’utopie écologiste, quelle qu’elle soit, car n’est pas Saint François d’Assise qui veut. D’ailleurs, à les juger par leur action concrète sur l’écosystème du territoire qu’ils se sont approprié, leur ZAD a plus l’allure d’une décharge à ciel ouvert que d’une opération « zone humide propre ». Pour autant, la radicalité et la persévérance de ces zadistes peuvent pousser la droite à réfléchir. Il est clair que sans la ZAD Vinci aurait déjà entamé les travaux de l’aéroport[8].

Que faire ?

La droite ne peut laisser ad vitam aeternam l’extrême gauche occuper seule le créneau de l’écologie. A l’avenir, peut-être s’avisera-t-elle dans un souci d’efficacité, d’emprunter à l’extrême gauche certaines formules d’actions militantes. Pour ce faire, elle devra s’affranchir de sa culture légaliste et assumer le risque de la radicalité. A bien y réfléchir, certaines franges de la droite cultivent déjà même une certaine affection pour le principe de la ZAD. Pour rappel, les lefebvristes de la Fraternité Saint Pie X détiennent la palme de la plus ancienne ZAD de France, avec 41 ans d’occupation illégale de Saint Nicolas du Chardonnet. Depuis 2012, La Manif pour Tous fait de la « famille bio » un écosystème à défendre contre les attaques du projet libertaire. En août 2016, l’abbé de Tanoüarn et ses fidèles occupent contre une ordonnance d’expulsion l’église Sainte Rita (Paris XVe) menacée de démolition par un promoteur immobilier, et dressent même une barricade pour bloquer les CRS venus les déloger. Dans un futur proche, ce ne sont pas les occasions qui manqueront pour la droite de scander son No pasarán contre le saccage de l’environnement et la pollution visuelle, à commencer par le projet du Center Parc de Roybon en Isère ou le projet de centre commercial géant Europa-City dans le Val d’Oise.

Lire aussi : La bataille de Fort-Mégard, quand des agriculteurs catholiques métamorphosent une ZAD

« Telle est la misérable condition des hommes, qu’il leur faut chercher, dans la société, des consolations aux maux de la nature, et, dans la nature, des consolations aux maux de la société. Combien d’hommes n’ont trouvé, ni dans l’une ni dans l’autre, des distractions à leurs peines ! »[9] Cette phrase de Chamfort résonne délicieusement aux oreilles de l’observateur de la saga Notre-Dame-des-Landes. Les zadistes trouvent en effet, dans leur marotte écologiste, une consolation au terrible vide qu’offre l’époque contemporaine ; et dans la micro-société qu’ils forment, un précieux réconfort de leurs semblables aux affres de la nature, qu’ils seraient d’ailleurs bien incapables de braver seuls. L’ennui est que cette société de l’entre soi semble tout à fait inapte, du fait de son penchant sectaire, à prendre du recul tant sur son origine que sur son avenir. Si « la nature devient le dieu des gens qui n’en n’ont pas »[10], c’est ici un dieu aigri, jaloux et colérique, fort éloigné du Dieu d’amour qui a placé l’homme au sommet de sa Création, et qui lui a confié la tâche d’administrer son œuvre en jardinier responsable[11].

Face au refus dogmatique d’un rapprochement, même d’opportunité, avec la droite ; c’est à cette dernière de remporter la bataille idéologique et, de se montrer capable de la mettre en pratique. Osons s’inspirer d’un radicalisme de gauche, mais tâchons de conserver (retrouver ?) une cohérence de droite.

[1]Les analyses de Jean-Claude Michéa sur l’unité dialectique du libéralisme économique et du libéralisme culturel ont beaucoup joué dans le rejet par une certaine droite intellectuelle de l’idéologie libérale.

[2] Georges Bernanos, La France contre les robots, Broché, 2015.

[3] http://www.bvoltaire.fr/zad-legitime-aujourdhui-seul-moyen-efficace-eviter-debut-travaux-de-cet-aeroport/

[4] https://www.streetpress.com/sujet/1445856179-gaultier-bes-catho-pop-et-ecolo-reac

[5] https://www.youtube.com/watch?v=GbZjKx21Jpw

[6] Le gouvernement veut faire évacuer la ZAD. Cela promet d’être joyeux ! En effet, le noyau dur des 200 squatteurs permanents, déjà bien organisés sur place, peut rapidement mobiliser plusieurs milliers de jeunes sympathisants de la cause des métropoles voisines (Rennes et Nantes) pour une séquence de guérilla champêtre, comme ce fut le cas lors de l’opération « César » de 2012, qui se solda par un échec. Le groupuscule ultra violent Black blocks risque d’être de la partie. La gendarmerie a par ailleurs alerté le ministre de l’intérieur sur de possibles stocks d’armes à feu, de mortier, d’acide etc.

[7] L’idéologie altermondialiste des No Borders s’accorde, ne leur en déplaise, à merveille avec celle des spéculateurs mondialisés de Wall Street et celle des savants-fous de la Sillicon Valley que pourtant ils détestent ; tout à l’opposé de la philosophie conservatrice de droite, qui fait de la notion limites (éthique, géographique ou morale etc.) l’axiome de base de sa vision du monde.

[8] http://www.europe1.fr/politique/nddl-levacuation-de-la-zad-ne-se-fera-pas-sous-hollande-2922596 « […] Désormais, avec Bernard Cazeneuve aux commandes, l’évacuation de la ZAD qui empêche le début des travaux n’est plus à l’ordre du jour » (décembre 2016).

[9] Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, Maximes et pensées, Caractères et anecdotes, Gallimard, 1982, 448 p, n°98.

[10] Selon l’heureuse expression de Chantal Delsol, L’âge du renoncement, Cerf, 2011, p. 289.

[11] Pour reprendre la dichotomie proposée par Chantal Delsol entre démiurge et jardinier dans La haine du monde – Totalitarisme et postmodernité, Cerf, 2016.

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