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Breizh Info

Dialogue avec Julien Langella, auteur du livre « Catholiques et identitaires » 1/2


Nous avons entamé un « dialogue » avec Julien Langella, que nous vous présenterons en deux parties, car les questions amènent de longs développement. En voici la première.

Breizh-info.com : Après « La jeunesse au pouvoir », vous sortez « Catholiques et identitaires ». Vous poursuivez donc un certain cheminement (y compris militant) du haut de vos trente ans ?

En effet. Entre-temps, un événement majeur a eu lieu dans ma vie : ma conversion au catholicisme.

Après mes années aux Identitaires, et ayant participé à la création de Génération Identitaire, j’ai ressenti le besoin de transcrire politiquement ma foi. C’est-à-dire de vivre ma foi publiquement et d’atteindre ainsi une certaine cohérence : on ne peut se limiter à une piété de façade, ou même réelle mais réduite à la messe dominicale, l’Evangile n’est pas un programme politique mais il n’est pas neutre politiquement. Quand le Christ chasse les marchands du temple, rend à César ce qui lui appartient ou guérit des malades le jour du sabbat (jour de repos intégral chez les Hébreux), ses actes ont une portée sociale : ils impactent la société. D’ailleurs, observez qu’il n’a de problèmes qu’avec les chefs religieux de Judée, pas avec les Romains. À Ponce Pilate, il ne fait aucune déclaration politique grandiloquente, il affirme que son royaume n’est pas de ce monde, contrairement aux zélotes, nationalistes juifs très virulents contre les Romains. Le Christ dira même du centurion romain : « je n’ai jamais rencontré une telle foi en Israël ». Ceux qui font du Christ l’incarnation d’un courant ethno-religieux anti-romain ou anti-européen ne connaissent tout simplement pas l’histoire. Bref, je suis guidé par la recherche d’une certaine cohérence entre les idées, la foi et leur incarnation dans la vie quotidienne. C’est ce qui m’a amené à rejoindre Academia Christiana, institut de formation destiné à secouer le petit monde catholique et à faire entrer les jeunes chrétiens dans le combat pour la Cité avec des armes efficaces (autres que des ballons roses et bleus).

Breizh-info.com : « Il faut passer de la Manif pour tous à la reconquête intégrale ». Qu’est-ce que cela doit signifier aux oreilles d’un catholique ?

Que LMPT n’était qu’un outil, un moyen, pas une fin en soi. Se mobiliser contre une loi dénaturant le mariage et la filiation, c’est bien ; inscrire cette revendication ponctuelle dans un combat global, puisque l’ennemi a plusieurs visages, c’est mieux ! La cohérence, toujours. Les catholiques doivent s’interroger : recherchons-nous véritablement le bien commun en tout ? Ou seulement sur les affaires de mœurs et autres « faits de société » ?

Les catholiques conservateurs ont tendance à se dire « libéraux » en économie et anti-libéraux en matière de mœurs, alors que le libéralisme moral (l’inversion des valeurs et le relativisme) est le visage « de gauche », donc médiatiquement acceptable, du libéralisme économique qui ouvre les magasins le dimanche, multiplie les accès à la pornographie dans nos familles, produit des gadgets électroménagers d’une qualité médiocre et promeut l’érotisme malsain dans les clips et au cinéma… Sans ouverture des frontières au nom de la liberté d’entreprendre, on n’aurait pas de FEMEN en France. Il est donc urgent que les catholiques se saisissent de cet enjeu et renouent avec la tradition chrétienne de méfiance à l’égard de l’argent (Saint Paul : « l’amour de l’argent est la racine de tous les maux »). Cela n’implique évidemment pas de rejoindre la France insoumise de Mélenchon : on peut vouloir juguler le turbo-capitalisme sans être de gauhe et souhaiter des baisses d’impôts et la simplification de la machine bureaucratique sans être « libéral ». Retrouvons le sens des mots : le libéralisme est une idéologie qui renverse l’échelle traditionnelle des valeurs (le collectif l’emporte sur le personnel, la personne se réalise dans le collectif) et place le droit de propriété et la liberté commerciale au dessus de tout. Le bon sens poujadiste n’est pas du libéralisme.

La reconquête intégrale, c’est d’abord une prise de conscience sur la nature globale des menaces qui pèsent sur nous. Le monstre libéral-mondialiste a bien des tentacules : il sévit aussi bien dans les chambres à coucher (promotion d’une vision purement contractuelle et individualiste du couple) que dans les écoles (l’enfant comme co-auteur de son propre savoir), le travail (dumping social, délocalisations ou cadences infernales de la grande distribution), la nationalité (droit du sol, accueil inconditionnel et régularisations massives de clandestins), la religion (triomphe médiatique des spiritualités asiatiques centrées sur le bien être individuel) ou la filiation (attaques contre l’autorité et les droits du père). Une fois que l’on a compris cet enjeu, une fois que l’on a admis que la « liberté » (celle des marchés pour la finance ou celle du corps pour le Planning familial et les FEMEN) est la devise officielle de tout l’échiquier politique moderne (à quelques notables exceptions), on est un peu plus à même d’agir efficacement, ne serait-ce qu’au niveau familial, pour incarner un autre type d’existence plus épanouissant pour l’homme.

Le catholique qui tolère que la Création de son Dieu soit attaquée par le mondialisme est peut-être « chrétien » parce qu’il tente de suivre le Christ dans son attitude personnelle, mais est-il vraiment chrétien sur un plan intellectuel ? A-t-on vraiment l’esprit chrétien lorsqu’on se sent à l’aise dans une époque qui promeut tout ce qui est radicalement contraire à la piété, à la pureté, à l’amour et à la dignité humaine valorisées par le christianisme ? Je ne crois pas. Alors il ne s’agit pas seulement de reconquérir les braguettes des Français dans d’éternelles lamentations contre la liberté sexuelle (même si, en effet, le corps est « le temple du saint-esprit » et qu’il faut le préserver comme un trésor), mais de reconquérir tout ce qui a été retiré à Dieu et à son amour infini : nos rues livrées à la racaille immigrée, le travail volé par les spéculateurs et les boursicoteurs assassins, nos familles empoisonnées par les écrans, l’agora par les partis politiques mafieux, la faune et la flore violées par la pollution inhérente à une société tournée vers la « croissance », etc. Bref, il nous faut reprendre tout ce qui a été abandonné au démon. On a du boulot !

« Catholique » vient du grec katolikos : « universel ». Nous devons être catholiques dans tous les domaines, dans « l’universel » de nos vies, et nous remettre en cause constamment. Il n’y a qu’à cette condition que le chrétien sera vraiment la lampe sur la montagne et le sel de la terre.

Breizh-info.com : Le pape François n’est-il pas aujourd’hui l’anti-identitaire par excellence ? Comment dès lors amener les catholiques – qui suivent aussi leur pape – sur le chemin de leurs racines ?

Vous le dites bien : « qui suivent leur pape ». Les catholiques suivent la papauté, le successeur de Saint-Pierre et vicaire (« ambassadeur », pourrait-on traduire) du Christ. Pas Jorge Maria Bergoglio. Quand Jorge Maria Bergoglio proclame ex cathedra (c’est-à-dire revêtu d’une pleine autorité de chef de l’Eglise, avec la mention claire de son titre pontifical) des vérités dogmatiques, c’est-à-dire des vérités sur la foi, il n’est pas Jorge Maria Bergoglio mais « le pape François ».

Et nous le suivons avec amour filial, bienveillance totale et un respect profond. En revanche, quand il aborde des sujets politiques sans lien direct avec la foi (même si la limite est fine…) et dans un contexte non ex cathedra (dans un tweet ou une interview en avion), alors les catholiques n’ont aucune obligation de le suivre. Ce point avait déjà été confirmé solenellement dans le concile Vatican I à la fin du XIXe siècle. Le problème, c’est que les catholiques, qui sont aussi des gens « normaux » avec les défauts de leur peuple (et donc qu’il ne faut pas trop charger de toutes les tares sans se ridiculiser soi-même), ont eu brusquement tendance à idôlatrer les papes successifs en réaction à la chute de toutes les autorités et repères temporels. C’est une réaction naturelle, inévitable, mais tout de même condamnable. Quand tout s’effondre autour de vous, on se raccroche à ce qui reste debout. Et l’Eglise, au sortir des invasions barbares comme après 1789, est restée debout. Alors, la parole de ses chefs est devenue parole d’évangile pour beaucoup. La parole des pontifes a subi une hypertrophie médiatique regrettable, mais ils n’en sont pas coupables. C’est une évolution globale de l’Occident qui explique cette mûe : la dictature de la communication et de la transparence.

Le pape François, comme les fidèles qui le suivent, est donc aussi un homme : avec son itinéraire propre, ses défauts et ses qualités, ses lubbies et sa personnalité. Il a condamné vigoureusement en 2015 le « progressisme infantile » et « l’uniformité hégémonique de la pensée unique » promue par la mondialisation. Dans son encyclique Laudato Si, il a clairement condamné le culte de la « croissance économique » et a développé une pensée éco-socialiste anti-marxiste et anti-libérale très riche. Pour cela, nous lui sommes redevables. Bien sûr, je sais que je risque de faire hurler vos lecteurs avec l’adjectif « socialiste » donné en exemple, mais la pensée socialiste du début du XIXe siècle, avant la vérole marxiste, était positive. Le pape Léon XIII l’a présenté, dans son encyclique Rerum Novarum, comme une nécessaire auto-défense face aux ravages du capitalisme industriel. François actualise sa problématique en répondant aux ravages du capitalisme du IIIe millénaire : productiviste, mondialisé et spéculatif.

Pour amener les catholiques à se réenraciner, encore faut-il donc qu’ils soient formés sur ce qu’ils doivent à leur père de Rome. La formation intellectuelle sur l’autorité réelle de la parole pontificale, non fantasmée par les gauchistes qui sont heureux d’apparaître comme des « loyalistes » lorsque les déclarations politiques du Vatican vont dans leur sens, est primordiale. Ensuite, il faut faire feu de tout bois : dans Laudato Si, il y a tout une pensée d’écologie intégrale qu’il ne tient qu’à nous d’étendre aux peuples et aux ethnies.

Mais pour ceux, et on les comprend, qui ne se sentent pas l’âme d’un exégète de la parole du pape, qu’ils partent à la redécouverte de leurs saints locaux, ceux qui ont foulé le même sol qu’eux (il n’y a pas de chrétienté sans histoire, mais seulement des chrétiens sans mémoire!), de leurs reliques, des traditions régionales. Chaque province de France (et d’ailleurs) est riche en identité ethno-religieuse. Je parle pour la Provence, l’empire du Soleil de Mistral, je connais mal les autres régions, mais chez nous, les traditions religieuses s’incarnent dans une foule de détails. Prenons la Noël : il y a un repas spécial avec une composition précise et une symbolique millimétrée (le gros souper et les 13 desserts), la tradition des crèches illustrant la naissance de l’Enfant-Jésus dans un village du XIXe siècle (avec tous les vieux métiers), celle du blé de la Sainte-Barbe (le 4 décembre), le cacho-fio (la libation et la formule rituelle, « à l’an qui vient ! Et si nous ne nous sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins ! », sur le tronc d’un arbre fruitier déposé dans l’âtre noir), les pastorales (mise en scène théâtrale, parfois itinérante, dans les rues des villages, de la Nativité), etc.

Je ne doute pas un seul instant (je pense aux marchés alsaciens par exemple) qu’il n’existe pas de traditions similaires ailleurs. Et puis, même si on est pas d’une grande famille autochtone, on peut aussi choisir le réenracinement et le mettre en œuvre comme des moines-soldats de l’identité. Pour ma part, j’ai du sang breton côté maternel et italo-maltais du côté paternel, de par mes origines Pieds-Noirs, mais je suis né dans une petite patrie qui s’appelle la Provence et je connais mieux le visage du thym ou de la sauge que celui d’un edelweiss. Quand on est un fils d’Europe et que l’on naît sur une terre européenne loin de ses origines familiales, on peut toujours s’enraciner. Nos plus profondes racines, helléno-latines et chrétiennes (Athènes, Rome, Compostelle), relient entre elles nos racines régionales.

Breizh-info.com : N’est-il pas totalement impossible d’avoir un message universel tout en appelant à l’enracinement ?

Bien sûr que non. L’unité chrétienne est seulement spirituelle, elle se concrétise par le baptême et les actes de charité mutuels, mais nous rejetons l’uniformité stérile du diable, celui qui, à défaut de pouvoir créer, ne sait qu’imiter. Et l’uniformité mondialiste est bien une caricature de l’unité chrétienne. Nul besoin de grands discours, regardez l’Europe : l’Eglise s’est implantée en respectant les traditions locales lorsque celles-ci n’allaient pas contre la loi naturelle, c’est-à-dire le « mode d’emploi » de la vie sur terre léguée par Dieu dans le cœur de l’homme. Au nom de cette loi naturelle, disent certains, l’Eglise a exterminé les cultures qui ne lui plaisent pas. C’est une imbécillité. Ou alors soyez cohérents et faites aussi un procès à Jules César qui a réprimé des sacrifices humains en Gaule ainsi qu’à Tacite qui a fait de même en conquérant une partie de l’Angleterre.

Bien que païens, ces chefs de guerre étaient d’abord des hommes, fils de Dieu, et Européens de surcroît, avec toutes les ressources philosophiques nécessaires pour comprendre cette loi naturelle sans rejoindre automatiquement le christianisme. Regardez les églises « en bois debout » de Scandinavie, avec ses scènes de la mythologie nordique gravées sur les murs ; ces églises japonaises en forme de temples shintoistes ; les fêtes chrétiennes en Amérique latine, qui associent les arts indigènes à la célébration du vrai Dieu… Je pourrai vous citer mille exemples.

Ensuite, le christianisme, c’est l’imitation du Christ. Et le Christ était membre d’une race, d’un peuple, d’une communauté de travailleurs, d’un village : c’était un être civique, enraciné, qui existait pour le monde, en tant que Dieu, mais aussi par et pour sa cité, en tant qu’homme. En choisissant l’Incarnation, Dieu a choisi la nation, la famille et les appartenances comme canaux de sa grâce, comme modes d’expression. Quant à l’Ancien testament, c’est l’histoire d’un peuple, de ses batailles, de ses espoirs, de sa terre promise aux contours précis, du miel et des cèdres du Liban, de la terre tantôt aride, tantôt généreuse : l’Ancien testament est une épopée identitaire.

Je peux en témoigner : ma conversion a nourri mes convictions identitaires. L’immigration, l’américanisation et l’islamisation ne sont pas seulement des « attaques » contre ma patrie : depuis ma conversion, je les vois comme des attentats contre la Création de Dieu. Notre devoir de catholiques et d’identitaires est de préserver ce petit bout de Création que nous appelons « patrie », terre des pères, comme la terre promise à Abraham « et aux fils de tes fils », selon la parole de Yahvé. En faisait le bien dans nos cités, en les aimant comme nous aimons notre mère, nous gagnons le Ciel. Il n’y a aucune incompatibilité mais harmonie parfaite. Le mauvais patriote n’est pas fils de Marie.

Fin de la première partie. Propos recueillis par Yann Vallerie.

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https://www.breizh-info.com/2017/12/04/83485/dialogue-avec-julien-la

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